André Franquin : Spirou et Fantasio "Le dictateur et le champignon", case finale.
Pour ma part, des cases cultes j'en ai plusieurs, que je pourrai livrer au fil des différents échanges de cette rubrique. Les raisons en sont souvent différentes.
La première de mes cases cultes, j'en ai déjà un peu parlé lorsque nous avons publié la couverture n° 838 datée du 6 mai 1954 sur laquelle elle est apparue, c'est l'ultime case de l'album "Le dictateur et le champignon" :

©Dupuis
Il y a plusieurs raison à cela :
- d'une part je trouve que cette case est déjà très esthétique : la forêt tropicale, la pirogue, l'emprise aussi d'une demi planche, qui permet de donner au décor toute sa force
- l'emprise justement du décor grâce à ce cadrage en plongée : la forêt semble réellement dominer nos héros qui retournent tout tristes à la civilisation. Cet effet est augmenté par la présence en avant plan des feuilles traitées en noir, qui donnent l'impression que Spirou et Fantasio sont prêts à être mangés par la forêt qui les observe tel un ennemi implacable.
- l'expressivité extraordinaire de Spirou, de Fantasio et même de Spip que l'on voit malheureux, donne ensuite à cette case une dimension extrêmement touchante. Cette dimension est renforcée par le fait que Spirou et Fantasio se querellent dans la case juste précédente sur l'intérêt qu'il y a eu à reconduire le marsupilami dans son décor naturel, pourtant, même sans connaitre cette case précédente, toute la puissance de la tristesse est là il suffit de regarder cette case seule ou encore la couverture de la reliure n°49, qui reprend les termes de cette case et qui, seule, garde toute sa puissance.
- le cadrage très intelligent de Franquin, qui fait que bien que l'on lise naturellement de gauche à droite, on regarde instinctivement l'image de la proue à la poupe et donc de droite à gauche, dans le sens du contre courant. Spip, sorte de figure de proue, donne d'emblée un sentiment de grande émotion, qui se poursuit en regardant Spirou puis Fantasio, pour se conclure sur le marsupilami.
- enfin, et c'est là le génie de Franquin, l'expression décontractée du marsupilami qui contraste totalement avec cette morosité générale, rassure le lecteur sur le fait que l'animal choisit Spirou et Fantasio plutôt que son habitat naturel sans pour autant retirer quoi que ce soit à la tristesse de la case. On ne sait pas l'expliquer, sans doute l'impact du décor qui enserre nos héros.
Tout cela donne une case d'une sensibilité incroyable qui, personnellement, m'a toujours beaucoup touché.