Rubrique à Lebrac n° 15 : CHOC par Maltaite et Colman
Posté : mar. 6 mai 2014 10:29
LA RUBRIQUE A LEBRAC
N°15- 6 mai 2014
" CHOC Les fantômes de Knightgrave 1ère partie", de Eric MALTAITE et Stéphan COLMAN , Editions Dupuis
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album deux fois double
Choc, les fantômes de Knightgrave est un album en deux parties, c’est aussi un album double puisqu’il nous invite à découvrir deux histoires simultanées :
- Une se déroulant en 1955 et nous faisant vivre un mauvais coup de haute voltige concocté par Monsieur Choc : le vol de 1500 kilo d’or de la S.B.S et d’un diamant de 38 carats.
Et pour cela il utilisera les grands moyens comme en témoignent, entre autres, les extraits des pages 48 et 49 ci-dessous de l’album, un exemple parmi les nombreuses pages d’action qui parsèment cet album.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
- L’autre se déroulant dans le passé, plus précisément dans toute la période de l’enfance et de l’adolescence de Monsieur Choc. Cette partie de l’histoire, qui avance au fil des flashbacks, nous permet de comprendre comment un jeune homme bien élevé et plutôt timide se transformera en ennemi public numéro 1.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album résolument réaliste
C’est une des clés majeures de cet album : si le personnage fut graphiquement créé par Will dans le style semi-réaliste qui était le sien et dans le cadre d’une série préexistante, le dessin de son fils Eric est passé, au fil de ses créations antérieures telles que 421 puis Zambada en particulier, d’un style typiquement école de Marcinelle, à un style réaliste.
Ainsi, bien qu’utilisant un personnage de facture classique, le changement de graphisme permet au lecteur de comprendre d’emblée qu’on n’est pas dans une sorte de Tif et Tondu bis, mais dans une toute autre ambiance. La dimension des cases, leur découpage, les scènes parfois très crues (scènes de guerre, de viol, de bas fonds, de violence, etc.), les couleurs, tout concorde à donner à cet album une dimension dramatique quand Tif et Tondu nous retenait dans le comique. Comme le précise Eric Maltaite : « lorsqu’une bombe explose dans Tif et Tondu, ça se traduit par des vêtements en hayons. Dans Choc, on meurt pour de vrai ».
Ce constat ne retire rien de la valeur des aventures de Tif et Tondu, bien entendu, mais il le distingue de l’album « Choc ». À titre de démonstration on comparera deux enchaînements de séquences. La première, extraite de « L’ombre sans corps » de Will et Tillieux nous montre une action violente : le chauffeur du camion se prend quand même un pont et un wagon sur la tête…
Will & Tillieux © Dupuis 1970
[table=width:100%][tr=text-align:float-left;][td=]
… et le résultat de cet accident :
Le type en ressort juste un peu étourdi… Pas même
une éraflure.
Pas d’ambulance ni de personne pour le rassurer.
Au contraire, on peut l’engueuler sans ménagement.
Le cheminement scénaristique est clair : On montre
une situation dramatique avec force détails, ça
éclate dans tous les sens, et on dédramatise ensuite
par un résultat finalement heureux hormis les dégâts
matériels. [/td]
[td=width:485]
Will & Tillieux © Dupuis 1970
[/td][/tr][/table]
Dans le second exemple, issu de l’album de Maltaite et Colman, on ne montre pas l’action dramatique en tant que telle, on la suggère juste par le bruit entendu à l’extérieur de la voiture. Aucune démonstration de fureur, juste « THUMB », un bruit de silencieux. La neige qui tombe rend au contraire les choses très calmes et sourdes.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Par contre le résultat de l’action ne laisse pas de place au miracle : non seulement le type est mort, mais la vitre est maculée de sang… une case qui nous rappelle qu’ici on ne rigole pas.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Ou plutôt si, on rigole finalement pas mal dans cet album dont certaines réparties ne sont pas sans rappeler le grand Maurice Tillieux. Mais, si l’on rit, c’est très noir comme le montrent les cases ci-dessous, issues des pages 17, 21 et 24 de l’album.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Les scènes dérangeantes sur le plan visuel ne nous sont pas épargnées, elles sont là pour renforcer l’intention dramatique des auteurs et c’est une grande réussite, comme les deux cases ci-dessous, impensables du temps de Charles Dupuis, pour leur dureté (on se croirait dans une BD de Tardi), mais aussi pour les propos qui y sont tenus.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album codé
Rien n’est laissé au hasard dans cet album très référentiel…
- La pie, apparaissant dès la première case de l’album et omniprésente ensuite, symbolisant Monsieur Choc lui-même est une référence directe à l’habit du personnage : queue de pie noir, chemise et gants blanc, chaussures noires.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
À noter également que la pie est, comme la corneille, l’oiseau de la connaissance. Elle aide à éclairer les mystères… et quel mystère que celui de Monsieur Choc.
Par ailleurs, si l’album, comme on l’a montré précédemment, cherche à se distinguer fondamentalement des ambiances et de la légèreté des aventures de Tif et Tondu, il en comporte cependant de nombreuses références :
Outre de quelques clins d’œil destinés aux auteurs de la série comme le sultan Adelawill al Rosy, l’album se place dans une démarche intéressante puisque si, et le contraire eut été un contresens, Tif et Tondu n’apparaissent jamais, nombreuses sont les mises en abîmes se rapportant à la série en question :
- La partie « actuelle » commence le 5 février 1955. Or « Tif et Tondu contre la main blanche », première aventure de la série Tif et Tondu scénarisé par Rosy et installant le personnage de Monsieur Choc, fut programmée dans le journal de Spirou cette même année 1955, à partir du n° 873 daté du 6 janvier, Monsieur Choc apparaissant dès la semaine suivante en planche 8, soit le 13 janvier 1955. L’action se situe donc 3 semaines après.
On observera également que le Choc de Maltaite porte le même heaume que celui de Will dans cette fameuse 1ère case de la planche 8 et non celui qu’il portera à partir de l’album suivant « Le retour de Choc ».
- les personnages du commissaire Allumette et de l’inspecteur Fixchusset, crées respectivement par Maurice Rosy et par Maurice Tillieux, sont également partie prenante de l’intrigue de l’album Choc, en ayant bien pris la peine de rajeunir Fixchusset qui, apparu dans le journal de Spirou début 1969, a donc ici 14 ans de moins que dans « L’ombre sans corps »… E là encore c’est tout à fait logique puisque, contrairement à la série Tif et Tondu, où les personnages de vieillissent pas, l’album « Choc » est un album réaliste dans lequel les personnages vieillissent, ce qui fait sens par rapport aux nombreux flashbacks contenus dans l’album.
Un album de haut vol
Je n’en dirai pas plus et surtout je ne raconterai pas l’histoire car cela ne pourrait-être qu’en deça de ce que cet album renferme, mais j’en donnerai la consistance :
La justesse du scénario, très prenant, les contrastes saisissants entre les scènes de grand silence, de neige, d’introspection, et la violence des scènes d’action.
La dureté des situations et cet humour en même temps omniprésent, très noir. Cette société anglaise dépeinte sans concessions, avec son racisme latent et ses petites manies désuètes. Le tout mis en valeur par un découpage incroyable et un graphisme d’une puissance absolue.
C’est un Stéphan Colman comme on n’en avait jamais lu, sauf peut-être à ses débuts… tiens, « White le choc* »… étonnante coïncidence, et un Eric Maltaite qui explose littéralement dans un graphisme qui lui est véritablement personnel et une mise en couleurs totalement appropriée qu’il réalise avec Lady C. (Précisons à ce sujet que les images de ce dossier sont scannées d’après le journal de Spirou, dont les couleurs sont beaucoup moins réussies que celles de l’album).
La seconde partie de cet ouvrage paraîtra exactement dans un an, fin avril 2015.
Cet album est un chef d’œuvre, ne pas se le procurer est un refus du bonheur…
Chers spiroutistes, j'attend dès à présent vos commentaires. Et vos votes.
signé : Lebrac, en direct de la Rédaction
*White le choc n’est pas la première BD de Stéphan Colman, mais c’est son premier album, il fut publié chez Magic Strip en 1983 dans la fabuleuse collection Atomium…
N°15- 6 mai 2014
" CHOC Les fantômes de Knightgrave 1ère partie", de Eric MALTAITE et Stéphan COLMAN , Editions Dupuis
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album deux fois double
Choc, les fantômes de Knightgrave est un album en deux parties, c’est aussi un album double puisqu’il nous invite à découvrir deux histoires simultanées :
- Une se déroulant en 1955 et nous faisant vivre un mauvais coup de haute voltige concocté par Monsieur Choc : le vol de 1500 kilo d’or de la S.B.S et d’un diamant de 38 carats.
Et pour cela il utilisera les grands moyens comme en témoignent, entre autres, les extraits des pages 48 et 49 ci-dessous de l’album, un exemple parmi les nombreuses pages d’action qui parsèment cet album.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
- L’autre se déroulant dans le passé, plus précisément dans toute la période de l’enfance et de l’adolescence de Monsieur Choc. Cette partie de l’histoire, qui avance au fil des flashbacks, nous permet de comprendre comment un jeune homme bien élevé et plutôt timide se transformera en ennemi public numéro 1.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album résolument réaliste
C’est une des clés majeures de cet album : si le personnage fut graphiquement créé par Will dans le style semi-réaliste qui était le sien et dans le cadre d’une série préexistante, le dessin de son fils Eric est passé, au fil de ses créations antérieures telles que 421 puis Zambada en particulier, d’un style typiquement école de Marcinelle, à un style réaliste.
Ainsi, bien qu’utilisant un personnage de facture classique, le changement de graphisme permet au lecteur de comprendre d’emblée qu’on n’est pas dans une sorte de Tif et Tondu bis, mais dans une toute autre ambiance. La dimension des cases, leur découpage, les scènes parfois très crues (scènes de guerre, de viol, de bas fonds, de violence, etc.), les couleurs, tout concorde à donner à cet album une dimension dramatique quand Tif et Tondu nous retenait dans le comique. Comme le précise Eric Maltaite : « lorsqu’une bombe explose dans Tif et Tondu, ça se traduit par des vêtements en hayons. Dans Choc, on meurt pour de vrai ».
Ce constat ne retire rien de la valeur des aventures de Tif et Tondu, bien entendu, mais il le distingue de l’album « Choc ». À titre de démonstration on comparera deux enchaînements de séquences. La première, extraite de « L’ombre sans corps » de Will et Tillieux nous montre une action violente : le chauffeur du camion se prend quand même un pont et un wagon sur la tête…
Will & Tillieux © Dupuis 1970
[table=width:100%][tr=text-align:float-left;][td=]
… et le résultat de cet accident :
Le type en ressort juste un peu étourdi… Pas même
une éraflure.
Pas d’ambulance ni de personne pour le rassurer.
Au contraire, on peut l’engueuler sans ménagement.
Le cheminement scénaristique est clair : On montre
une situation dramatique avec force détails, ça
éclate dans tous les sens, et on dédramatise ensuite
par un résultat finalement heureux hormis les dégâts
matériels. [/td]
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Will & Tillieux © Dupuis 1970
[/td][/tr][/table]
Dans le second exemple, issu de l’album de Maltaite et Colman, on ne montre pas l’action dramatique en tant que telle, on la suggère juste par le bruit entendu à l’extérieur de la voiture. Aucune démonstration de fureur, juste « THUMB », un bruit de silencieux. La neige qui tombe rend au contraire les choses très calmes et sourdes.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Par contre le résultat de l’action ne laisse pas de place au miracle : non seulement le type est mort, mais la vitre est maculée de sang… une case qui nous rappelle qu’ici on ne rigole pas.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Ou plutôt si, on rigole finalement pas mal dans cet album dont certaines réparties ne sont pas sans rappeler le grand Maurice Tillieux. Mais, si l’on rit, c’est très noir comme le montrent les cases ci-dessous, issues des pages 17, 21 et 24 de l’album.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Les scènes dérangeantes sur le plan visuel ne nous sont pas épargnées, elles sont là pour renforcer l’intention dramatique des auteurs et c’est une grande réussite, comme les deux cases ci-dessous, impensables du temps de Charles Dupuis, pour leur dureté (on se croirait dans une BD de Tardi), mais aussi pour les propos qui y sont tenus.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
Un album codé
Rien n’est laissé au hasard dans cet album très référentiel…
- La pie, apparaissant dès la première case de l’album et omniprésente ensuite, symbolisant Monsieur Choc lui-même est une référence directe à l’habit du personnage : queue de pie noir, chemise et gants blanc, chaussures noires.
Maltaite & Colman © Dupuis 2014
À noter également que la pie est, comme la corneille, l’oiseau de la connaissance. Elle aide à éclairer les mystères… et quel mystère que celui de Monsieur Choc.
Par ailleurs, si l’album, comme on l’a montré précédemment, cherche à se distinguer fondamentalement des ambiances et de la légèreté des aventures de Tif et Tondu, il en comporte cependant de nombreuses références :
Outre de quelques clins d’œil destinés aux auteurs de la série comme le sultan Adelawill al Rosy, l’album se place dans une démarche intéressante puisque si, et le contraire eut été un contresens, Tif et Tondu n’apparaissent jamais, nombreuses sont les mises en abîmes se rapportant à la série en question :
- La partie « actuelle » commence le 5 février 1955. Or « Tif et Tondu contre la main blanche », première aventure de la série Tif et Tondu scénarisé par Rosy et installant le personnage de Monsieur Choc, fut programmée dans le journal de Spirou cette même année 1955, à partir du n° 873 daté du 6 janvier, Monsieur Choc apparaissant dès la semaine suivante en planche 8, soit le 13 janvier 1955. L’action se situe donc 3 semaines après.
On observera également que le Choc de Maltaite porte le même heaume que celui de Will dans cette fameuse 1ère case de la planche 8 et non celui qu’il portera à partir de l’album suivant « Le retour de Choc ».
- les personnages du commissaire Allumette et de l’inspecteur Fixchusset, crées respectivement par Maurice Rosy et par Maurice Tillieux, sont également partie prenante de l’intrigue de l’album Choc, en ayant bien pris la peine de rajeunir Fixchusset qui, apparu dans le journal de Spirou début 1969, a donc ici 14 ans de moins que dans « L’ombre sans corps »… E là encore c’est tout à fait logique puisque, contrairement à la série Tif et Tondu, où les personnages de vieillissent pas, l’album « Choc » est un album réaliste dans lequel les personnages vieillissent, ce qui fait sens par rapport aux nombreux flashbacks contenus dans l’album.
Un album de haut vol
Je n’en dirai pas plus et surtout je ne raconterai pas l’histoire car cela ne pourrait-être qu’en deça de ce que cet album renferme, mais j’en donnerai la consistance :
La justesse du scénario, très prenant, les contrastes saisissants entre les scènes de grand silence, de neige, d’introspection, et la violence des scènes d’action.
La dureté des situations et cet humour en même temps omniprésent, très noir. Cette société anglaise dépeinte sans concessions, avec son racisme latent et ses petites manies désuètes. Le tout mis en valeur par un découpage incroyable et un graphisme d’une puissance absolue.
C’est un Stéphan Colman comme on n’en avait jamais lu, sauf peut-être à ses débuts… tiens, « White le choc* »… étonnante coïncidence, et un Eric Maltaite qui explose littéralement dans un graphisme qui lui est véritablement personnel et une mise en couleurs totalement appropriée qu’il réalise avec Lady C. (Précisons à ce sujet que les images de ce dossier sont scannées d’après le journal de Spirou, dont les couleurs sont beaucoup moins réussies que celles de l’album).
La seconde partie de cet ouvrage paraîtra exactement dans un an, fin avril 2015.
Cet album est un chef d’œuvre, ne pas se le procurer est un refus du bonheur…
Chers spiroutistes, j'attend dès à présent vos commentaires. Et vos votes.
signé : Lebrac, en direct de la Rédaction
*White le choc n’est pas la première BD de Stéphan Colman, mais c’est son premier album, il fut publié chez Magic Strip en 1983 dans la fabuleuse collection Atomium…