Numéro 4473/4474 du 03/01/2024
Ici la présentation illustrée par jeepcook
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Une belle couverture, dynamique et tendre: toute la famille s’y fait des câlins, Spirou, Fantasio, Spip, et le marsupilami, en étonnant contraste avec le titre “La mort de Spirou”. Nouveau numéro double, 5 semaines après le double de Noël (dans lequel il avait été annoncé), ce qui nous laisse avec deux fois deux semaines sans
Spirou en à peine un mois…
Mais contrairement à la plupart des spéciaux, sa couverture n’est pas un grand dessin double page, car c’est une publication tête-bêche, comme le 3058, qui se présentait lui comme un numéro normal d’un côté, et un “supplément de 64 pages sur les petits secrets des grands de la BD” de l’autre. Par contre, une telle forme pour ce numéro qui se présente lui comme un spécial de 100 pages, laissant donc supposer une unité thématique, m’échappe…Point d’unité ici: est-ce, comme indiqué d’un côté, un spécial 100 ans de
Franquin et
Morris, ou bien, comme indiqué de l’autre, un spécial La mort de Spirou (la mise en page ambigüe peut se lire ainsi). D’autant plus étonnant que, si
Olivier Schwartz réalise évidemment la couverture sur le retour de
Spirou, c’est
Dominique Bertail qui met lui en scène
Franquin et
Morris dans les décors du far west, là-même où les avait représentés
Schwartz dans Gringos Locos, d’autant plus que les deux complices se retrouvent dans leur tenue de cow-boys sur la couverture de
Schwartz…C’est par ailleurs
Spirou et non
Gaston, incidemment étrangement absent du numéro, qui chevauche aux côtés de
Franquin. Traces d’un conflit d’intérêts commerciaux? Désolé si ces supputations ont un aspect malveillant, mais c’est l’état d’esprit dans lequel me plongent les circonstances de la reprise de
Gaston. Et les
Fabrice mettent de bienvenus pieds dans le plat avec leurs plagiats involontaires de
Spirou et
Gaston. Pour couronner le tout, Spirou, au début de sa nouvelle aventure, porte aux pieds des espadrilles, et oui, comme Gaston...
Cette suite de La mort de Spirou commence mal. Les auteurs s’aventurent sans précaution sur un terrain glissant. Ils ignorent que lorsqu’on veut mettre un message dans une œuvre, celui-ci doit se glisser dans dans l’histoire, pas y être introduit de force, et être cohérent avec les personnages, sauf à vouloir faire un ouvrage de propagande plutôt qu’éducatif. Spirou et Fantasio visitent l’Expo 58 de Bruxelles, et passent devant le “zoo humain”, qui a vraiment existé, les auteurs se sont documenté, mais utilisé leur documentation à mauvais escient.
https://www.rtbf.be/article/avec-son-zo ... rs-9894679
Fantasio s’y révèle misogyne victorien (taxant Seccotine de “créature”), imbécile et raciste. Imbécile, car devant le village des Wakukus, où Spirou et lui étaient allés, il oublie leur nom et l’appelle “Le village des machins…euh, tu sais bien, là…le village des Matuvus.” C’est éthiquement insupportable ces auteurs qui confondent excentricité et stupidité. Comme le disait
Gil Jourdan, “Crouton est un farfelu, pas un idiot, et il connait son métier”, et cela s’applique à Fantasio. Raciste, car parlant des Africains il ajoute “il faut dire qu’ils se ressemblent tous, ces cocos-là.” Or Fantasio ne pourrait jamais penser ni dire cela puisqu’au contraire, dans Spirou chez les pygmées, il est attentif aux spécificités des gens et de la culture locale. Le Spirou sermonneur réagit en lui disant “Fantasio! Tu ne vas pas leur jeter des cacahuètes, aussi?”, et c’est là que les auteurs ont commis une bourde scénaristique, tombant dans leur piège moralisateur. L’anecdote des cacahuètes est authentique, même si historiquement il s’est agit de bananes, mais voici comment la rapporte l’historien
Maarten Couttenier: “En découvrant ce zoo humain, certains visiteurs ont eu un comportement totalement inapproprié en jetant, par exemple, des bananes. Les figurants ont donc décidé eux-mêmes de partir. Ce départ signifie qu'"en 58, il était déjà possible d'avoir une voix. Ce n'était pas le cas au zoo humain de Tervuren en 1897. A Tervuren, il y avait des soldats et des policiers pour garder ces congolais dans le 'village nègre'. En 1958, lors de l'exposition universelle, la situation sociale, politique, économique avait totalement changé. Et ils avaient une voix pour dire 'on n'est pas d'accord et on rentre'". En faisant réagir Spirou au lieu des Africains, les auteurs lui font prendre leur place, les ravalant au rang de figurants et d’outils au service du message du héros, et leur discours qu’ils voulaient anti raciste devient de ce fait néo colonial. Puis, toujours dans leur incompréhension des personnages, il font parler à Spirou de “notre belle civilisation occidentale”, ce qui est une citation bien connue du Lotus bleu. La peste soit de ces auteurs qui utilisent
Spirou pour régler leurs comptes avec
Tintin. Ce n’est pas
Sophie Guerrive et
Benjamin Abitan qui auront le Prix Couilles au cul à Angoulême, qui rend hommage au courage artistique. Le dessin de
Schwartz a toujours de petit problèmes d’équilibre des personnages, mais il offre une belle séquence dans l’Expo 58, se terminant dans un train fantôme avec quelques invités surprise (mais je ne révèlerai rien…).
Suite de
Trésor, de
Pauline de la Provoté et
Jean-Baptiste Saurel, ainsi que de
SangDragon, de
Bédu (couleurs
Cerise) avec deux cases pleine page virevoltantes de dragons (mais placée à côté de
Pernille, de
Cyril Trichet,
Dav et
Esteban, qui se déroule dans une grotte de dragon, cela tend a désorienter quelque peu la thématique de ce numéro). Suite aussi de
Tokyo mystery café, de l’
Atelier Sentô, qui, bien que se passant à Tokyo, ne fait pas dans le style manfra (français copiant les tics et codes du manga commercial), mais sait créer une ambiance prenante pour cette histoire qui oscille pour le moment entre le récit initiatique, le fantastique et le polar: cette semaine apparait un personnage haut en couleurs de tenancier de café-détective privé.
Dans les gags, un
Petit Spirou, de
Janry et
Cerise, les épisodes avec les cours aussi grandiloquents que boiteux du prof de gym font toujours ma joie, un
Crash Tex de
Dab’s et
Gom, moins destroy que souvent mais enrichi de personnages, un
Kid Paddle de
Midam, Dairin, Pujol et
Angèle, que je cite pour la présence de l’arum titan, un
Capitaine Anchois de
Floris victime de la société de consommation (et oui, au XVIIIè siècle déjà), un
Elliot au collège de
Théo Grosjean et
Anna Maria Riccobono grinçant, un
Game over de
Midam, Adam, Patelin et
BenBk que je cite pour la présence de nudité antique,
Les Fifiches du proprofesseur de
Lécroart et
Tash et Trash de
Dino sur les failles technologiques, et
Nob continue
Dad sur l’enfance de Panda.
Du côté du rédactionnel, des infos révélatrices, dans
Les BD de ma vie, de
Damien Cerq, (présenté comme le scénariste de
Léon et Léna, qu’il dit héritiers de
Tom-Tom et Nana, mais sans mention de son
La clairière s’amuse, que je trouve pourtant meilleure, mais ce ne doit pas être l’avis des commerciaux de
Dupuis) dont
La rubrique-à-brac de
Gotlib “reste la Bible”, et de
Cécile Bidault (jamais lue) dans
Spirou et moi, dont le personnage préféré est
Gaston Lagaffe. Au fil des rubriques,
Gaston, La rubrique-à-brac et
Tintin semble apparaitre comme la Trinité des auteurs actuels. Par ailleurs, à la question piège “Plus jeune, tu avais manqué d’héroïnes dans
Spirou?”,
Cécile Bidault, née en 1993 mais qui lisait les BD de la bibliothèque de ses grands-parents, répond “Je n’en avais pas conscience enfant, c’est resté si longtemps la norme. […]Pourtant je me souviens que les personnages féminins qui échappaient aux archétypes me plaisaient particulièrement, comme Seccotine qui était intelligente, débrouillarde et indépendante.
Franquin était en avance sur son temps.” 1-0 dans le duel
Tintin vs.
Spirou…
Notons enfin l’annonce d’une histoire d’un marsupilami (et non, comme écrit, “du
Marsupilami”, il s’agit de l’animal, pas du personnage dans
Spirou, que le rédacteur relise donc Le nid des marsupilamis) par
Alexis Nesme et
Lewis Trondheim, qui se passera en Amérique du Sud au XVIè siècle (y croisera-t-il le Snouffelaire?), ainsi qu'une publicité pour l’
Aquarium de Paris, où a lieu jusqu’au 26 février une exposition sur le Marsupilami et les récifs coralliens.
Et ce côté du magazine se termine sur des
Jeux du Petit Spirou (et oui, pas le grand, dont c'est pourtant le grand retour) de
Joan et
Annie Pastor, et un
Bulletin d’abonnement de
Cromheecke et
Thiriet mettant en scène
Gaston, et voila donc un numéro formellement énigmatique.
On retourne donc le magazine (sauf pour ceusses qui le lisent en numérique) , et débute le spécial 100 ans de
Franquin et
Morris, nés à un mois d’intervalle entre décembre 1923 et janvier 1924, qui se répartit entre des planches hommages, et un résumé de leur vie par
Morgan di Salvia (rédac-chef de
Spirou), bien fait, abondamment illustré de documents dont certains rares (dont une annonce d’une “causerie animé de projections par
Morris” sur la bande dessinée en 1965 à l’
Université Libre de Bruxelles) mais, taquin, je remarque qu’en 1955 “
Dupuis réussit à se fâcher avec son auteur phare pour une histoire de contrats mal rédigés, peut-être dans un acte manqué prémonitoire à la création du personnage de Monsieur Demesmaeker dans Gaston…” Curieux, à moi, c’est une toute autre histoire que cela rappelle…
Les bandes dessinées sont des hommages sous forme de recréation, de relations entre auteurs et de parodies. Sympathique est "La rencontre" par le dessin entre
Morris et
Franquin, imaginée par
Zabus et illustrée par
Renaud Collin. De même que "Le diable de l’enfer vert", double hommage de
Batem et
Ced (couleurs
Cerise) aux deux auteurs, mêlant judicieusement cirque et duel western autour d’un marsupilami. "Lucky Luke - Spirou" de
Yoann comme auteur complet est une excellente double parodie, lorgnant plus vers
Lucky Luke sur l’immédiat, avec le décor western, mais glissant vers
Spirou sur la fin, avec sa cocasse et perspicace dernière case. Très drôle et inventif est aussi "Le frère du milieu", dont la touche pastel d’
Aurélie Guarino, a priori surprenante dans ce cadre, rehausse l’humour de cette histoire de
Kid Toussaint centrée sur
les Dalton. La page de
Titan.inc de
Manu Boisteau et
Paul Martin est une belle évocation insolite du
Trombone illustré. "Tonton, t’as peur" est un extrait des “mémoires en bande dessinée de
Jean-Claude Fournier, “Auteur de BD…Je rêve!”, à paraitre en mai, réalisé en couleurs directes, et quelque peu désacralisant quoi que affectueux pour
Morris, avec un
Fournier tout jeune, un peu guindé mais moins chic que
Morris, et à petite barbiche au lieu de la grande barbe qu’on lui connait.
"Derrière le loup noir" sont deux pages d’
Aimée de Jongh peu claires (ce loup est-il un protecteur ou un ennemi?). "Jolly Jumper ne répond plus, la genèse" de
Bouzard est un regard drôle sur la personnalité d’auteur, mais ses grandes unités de couleurs, qui pourraient être un hommage à
Morris, son monotones et appesantissent l’histoire. "Professeur Luke" raconte comment la lecture de
Lucky Luke a éduqué
Pascal Jousselin, mais si la chute est très bonne, le ton en fait trop dans l’humilité pour moi (
Jousselin y reprend son personnage de
L’atelier Mastodonte en version enfantine).
José Luis Munuera offre un "Tuto" dessiné sur
Zorglub trompeur, car la cinquième et dernière étape est un plaisantin “Et c’est tout! Il ne reste plus qu’à encrer le personnage”, alors qu’en BD l’encrage est une étape aussi importante que le crayonné.
"Le grand Picasio" est malheureusement la plus longue (5 pages) histoire de ce numéro, réalisée par
Benoist Simmat, journaliste économique qui a fait plusieurs volumes de la série "Incroyables histoires" (du vin, de la cuisine, de l’argent, de la géographie…) aux Arènes BD avec plusieurs auteurs dont
Bercovici, avec des dessins de
Lucas Landais, dessinateur de L’incroyable histoire de la bière dans cette série. Peu apprécié cette histoire au style faux croquis, qui joue une fois de plus sur la discorde entre les personnalités de
Spirou et Fantasio, thème facile et revu, sur un rêve de délire de grandeur de Fantasio concernant une vision cliché et caricaturale de l’art moderne, peu étonnante de la part d’un spécialiste de l’économie.
Mais le plus drôle et inattendu pour moi est le "Comme c’est d’hommage", en deux partie, de
Bercovici,
Cerq, et
Robin Le Gall, hilarante et sagace parodie SF.
" Monólogo significa el mono que habla solo." Ramón Gómez de la Serna dans ses Greguerías.