- Un Grig-gri ?
- ça se mange ?
- Et voilà Spip, C'est pour ce... cet objet que Spirou voulait m'entraîner de force en Afrique...
Même si ce n'est pas la première fois que Spirou voyage en Afrique, le Gri-gri du Niokolo Koba marque un événement, car c'est la première fois que Spirou s'y rend dans un lieu réel, un parc naturel au Sénégal. Et tout ça pour un Gri-gri !
A ce titre, Fournier propose une introduction très efficace à son histoire, car en trois petites planches il arrive à définir son intrigue (des bandits à la recherche du Gri-gri), les éléments indispensables pour comprendre les évènements (le Niokolo-Koba, le diamant de Koli et son pouvoir) et comment Spirou et Fantasio se retrouvent mêlés à cette histoire. A ce niveau, si le coup du taxi est une coïncidence ôôoo combien pratique (comme le livre lu par Spirou sur l'ancêtre de Pluchon Park plus tard dans le tome), ça fait parti des raccourcis tout à fait acceptables dans une intrigue de bande dessinée. Cette intro très bien rodée est à l'image d'un tome de haut niveau, qui déroule son intrigue sans temps mort et avec une précision millimétrée. Avec ce tome, Fournier confirme ce qui était déjà visible dans Tora-Torapa, c'est à dire que l'auteur est de plus en plus à l'aise non seulement avec le tempo comique (mais Fournier a toujours eu un humour incroyable), mais également avec la structure même de son récit.
En ce sens (et je n'ai pas choisi cette citation pour rien), Fournier pose très tôt des éléments qui vont parcourir tout ou une partie de l'album. Ainsi, dans la citation présentée, si Spirou (en tant que héros de l'histoire) est tout de suite intrigué par le Gri-gri et cette mission au Niokolo-Koba ; Fantasio va jouer le râleur de service (avec pour éviter la monotonie et l'impliquer dans l'histoire le très joli twist du vol de son matériel photo par Ororéa). Quant à Spip, il servira comme souvent avec Fournier de caution humoristique, avec les blagues sur les noix/noisettes qui parcourent tout l'album, servant de petits interludes légers... avant de pleinement participer à l'intrigue et surtout à sa résolution !
Mais si les trois héros ont chacun un rôle bien défini dans l'intrigue, ce tome fait la part belle aux personnages haut en couleurs : en vrac et de façon non exhaustive : Tuté Tougouré et sa course en caddie (à la mise en scène très réussie, on voit bien l'impression de mouvement), Sété Bagarré (et sa famille nombreuse, qui va servir de point de repère au lecteur), les membres du village de Siminti (tous plus suspects les uns que les autres), et bien sûr ce pov' Netwa Makaré, formidable comique de répétition. Tous ces personnages sont extrêmement biens définis, que ce soit dans leurs attitudes, ou dans leurs designs. Qui plus est, malgré la multitude de personnages dans l'histoire, aucun n'est oublié ou laissé de côté en cours de route, chacun prend la place attribuée à son rôle pour créer une « bédé orchestre » très cohérente. Vraiment c'est une galerie très réussie à laquelle on a droit.
Galerie au service d'une intrigue « polar », pour le plus « Agatha Christie » des Spirou. L'ambiance à Siminti est tout de suite à la suspicion, et Fournier amène ce qu'il faut d'éléments pour semer le trouble : avec en plus l'arrivée impromptue d'Ororéa ! Les scènes à l'intérieur du village sont pour moi très savoureuses. Notons que dans ces moments-là, le décor à tendance à se réduire à sa plus simple expression.
C'est d'ailleurs le moindre défaut que je trouve à l'album : pour un épisode qui se déroule en plein parc naturel, j'aurais bien aimé en voir plus. Il n'y a finalement que peu de grandes cases sur la savane africaine, mais malgré ça les décors sont tout à fait réussi.
Pour soutenir son intrigue « whodunnit », Fournier utilise comme à son habitude de généreuses rasades d'humour. J'en ai déjà cité certaines, mais il y en a bien d'autres, notamment tous les gags associés au diamant Koli : sorte de super outil du scénariste de Bédé qui permet au méchant d'être très méchant sans risquer de tuer des gentils/innocents. En ce sens, il est assez intéressant de voir que c'est dans cet épisode ancré dans la réalité qu'existe un de ces éléments improbables « à la Fournier ». Qui plus est, cette coexistence est tout à fait harmonieuse. A aucun moment, on ne se sent frustré sur le manque d'explications sur le pouvoir du diamant, c'est comme ça on le prend comme tel.
Une dernière forme d'humour doit être signalé dans ce tome : celui qui casse le mur entre l'univers de la bédé et la réalité. Jeu de mot sur le barrissement de l'éléphant que Fournier n'a pas pu s'empêcher de placer, ou à l'inverse ce stratégiquement bien placé rectangle blanc dont le rôle d'élément de censure est parfaitement assumé. J'adhère !
Ainsi le Gri-gri du Niokolo Koba accumule les bons points : incitation à l'aventure avec son contexte africain, mélange réussi entre réalité et imaginaire, intrigue bien ficelée qui marie polar et humour, une galerie de personnages marquants... pour moi, c'est un tome absolument remarquable. 5/5
(pour ceux qui se disent que je note gentil, c'est parce que pour le moment j'ai commencé avec des tomes vraiment appréciés;) )