- Fantasio Magaziiine !
- Je vois, ça promet.
La fin de l'année approche, ce qui veut dire que les votes pour le meilleur tome de Spirou 2015 vont bientôt être comptabilisés. Hors, chez moi vote et critiques vont de pairs, il est donc plus que temps de voter pour mon « chouchou »... Attention, chef d’œuvre !
?! Spirou ! C'est toi ? Vivant !?
J'aimerais mieux, car si c'est le paradis, c'est moins marrant que ce qu'on m'avait promis
Suite de la Frousse aux trousses, la Vallée des Bannis peut pourtant allègrement se lire sans ne serait-ce que connaître l'album précédent (je n'ai lu la Frousse aux Trousses que très récemment avec les intégrales). En effet, Tome & Janry proposent un traitement plus qu'efficace dans cet album, avec un rappel des événements parfaitement défini grâce uniquement à un télégramme, dès la page-titre ! Avant même de commencer réellement la lecture, le lecteur occasionnel a déjà toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension de la situation.
De même, les deux premières planches sont un exemple de mise en place d'une ambiance épique et inquiétante, qui débouche sur la découverte de Spirou et Fantasio, piégés et dans le noir (au sens propre comme au figuré. Cette introduction joue la carte de la mystique, pour accentuer la dimension tragique de l'aventure qui va suivre. En deux-trois petites planches, le lecteur est happé dans un récit qui s'annonce passionnant.
L'introduction est d'autant plus maîtrisée que les enjeux véritables de l'intrigue sont posés finalement assez tardivement (la folie meurtrière de Fantasio n'apparaît qu'aux planches 10 et 11). Nos deux auteurs profitent de cette première partie pour parachever la mise en place de l'ambiance particulière de l'album, faite d'un fort sentiment d'oppression due à un environnement hostile, et d'un humour absurde et assez dure, qui participe au sentiment d'hostilité et de danger plus qu'il ne l'amenuise.
Ainsi, l'humour joue toujours le double-jeu entre le potache si cher à Tome & Janry et un sentiment de malaise pour nos héros. Par exemple, Fantasio qui a du avaler de la mer** de chauve-souris, c'est à la fois très bête et digne des plus grandes blagues de gamins, mais aussi très cruellement logique.
… Quel décor fascinant ! Bien des archéologues donneraient cher pour être à notre place !
Ça peut s'arranger ! Qu'on me fasse une offre !
Ce soucis de proposer une ambiance à la croisée entre l'aventureux et l'oppressant parcourt tout l'album et est probablement un des points qui a été les plus travaillé par Tome & Janry, ainsi que par le coloriste Stéphane de Becker.
Difficile de ne pas être ébahi devant la plupart des planches de l'album, tant le dessin ET la colorisation sont superbes. Qu'il s'agisse de la jungle, finalement très étouffante, ou de la crypte boutchik, le lecteur se sent comme Spirou, dans une situation de danger permanente. Le décor est réellement digne des meilleurs Indiana Jones, je ne me remets toujours pas de la superbe statue au dessus de l'étang par exemple.
Alors que les monuments et lieux visités ont bénéficié d'un soucis de réalisme extraordinaire, la faune de la Vallée des Bannis (à l'exception du Furax Volans) fait appel à la potacherie enfantine la plus cruelle. Si on compare cet album à Alerte aux Zorkons par exemple, on voit que le traitement des espèces animales n'a rien à voir. Dans Alerte aux Zorkons, les animaux rencontrés avaient de dangereux leur apparence monstrueuse ainsi que leur comportement très agressif et crédible. Ici, le bestiaire joue à fond la carte de l'absurde le plus improbable, leur danger vient du décalage entre l'image qu'ils revoient (un coup un marteau, un coup un hamac, un coup une pile), et le fait que leur comportement est irrationnel et donc imprédictible.
Mais cette ambiance, elle est aussi soutenue par des dialogues excellents, notamment ceux de Spirou (qui n'a jamais autant parlé que lorsqu'il se parle à lui-même... enfin, à Spip). Les monologues de Spirou, loin d'apparaître comme des lignes de dialogues artificielles nécessaires pour expliquer les événements au lecteur, se présentent au contraire comme un mécanisme d'auto-défense du personnage pour supporter et repousser l'inquiétude, le danger, et à terme, la folie.
Vous l'avez sans doute tous remarqué, il y a un fort miroir entre le duo Spirou-Fantasio et le duo Maginot-Siegried. Notamment, Maginot renvoie une image déformée de Spirou, et montre Spirou tel qu'il aurait pu finir, si les auteurs n'étaient pas obligés de sauver leurs héros. Maginot a l'air fou de parler à un cadavre ? Spirou parle à un écureuil, qui techniquement, ne peut pas lui répondre. La réelle folie n'est pas celle causée par un moustique, mais celle enracinée par des années de solitude et de vrai désespoir.
Ce réel sentiment d'abandon, même les blagues les plus potaches y participent. Ainsi, l'ascenseur émotionnel provoqué par le « Houba » d'un animal qui n'a mais alors RIEN à voir avec le Marsupilami, en plus d'être très drôle, enfonce dans le crâne de Spirou et du lecteur qu'il ne fait pas bon avoir trop d'espoirs dans cette jungle infernale.
Néanmoins, Spirou n'est pas aussi isolé que ça dans le récit. Il dispose de deux appuis (et non des moindres) Spip et Maginot. Néanmoins, pour renforcer ce sentiment d'insécurité, ces appuis ne peuvent pas être solides. Ainsi, bien que Spip sauve la mise de Spirou a plusieurs occasions, sa petite taille et sa frousse grandissante n'en fait qu'un faible soutien face à un Fantasio enragé. Quant à Maginot, sa folie empêche de réellement le comprendre, et il devient donc une potentielle menace.
Faudrait peut-être y songer pourtant ! Après tout, seul l'un de nous deux pourrait se sortir vivant d'ici... UN SEUL et PAS le « BON », si tu vois ce que je veux dire
Mais peu importe les appuis, finalement tout relatifs, de Spirou, cet album nous parle profondément de nos deux héros uniquement. Ce qui fait que la Vallée des Bannis est souvent considéré comme le chef-d’œuvre de Tome & Janry, c'est parce qu'il fait de la plus grande réussite du duo , - la caractérisation de Spirou et Fantasio -, le cœur de son histoire. Tome & Janry ont toujours cherché à approfondir la psychologie de leur héros, mais c'est ici que c'est le plus voyant. La folie haineuse de Fantasio a la brillante idée de s'appuyer sur un ressentiment enfoui d'une crédibilité totale, ce qui ne le rend que plus dangereux.
Globalement, la plongée dans la folie de Fantasio est très bien traitée. D'abord présentant un argumentaire poussée, sa haine devient furieuse et insensée. Le moment où il rigole (comme un dément j'ai envie de dire) lorsque Spirou se débat avec le moustique en fait un des antagonistes les plus dérangeant de la série. Du reste, Fantasio fait un ennemi mortel extrêmement réussi, et il a mis Spirou en difficulté comme peu d'autres vilains de la série. Particulièrement, j'aime beaucoup son intelligence sournoise. Même fou, il connaît suffisamment Spirou pour jouer sur ses cordes sensibles pour le piéger : ainsi, il fait croire qu'il est tombé dans un trou (et quoi de plus crédible pour Fantasio le roi de la gaffe) ; ou il n'hésite pas faire semblant de ronfler pour faire enrager Spirou et ainsi annihiler toute prudence de sa part. Fantasio est imprévisible, retors, et donc extrêmement dangereux.
Cette plongée dans la folie, elle est appuyée notamment par le célèbre « Fantasio Magaziiine » qui devient de plus en plus une obsession et le seul élément de pensée cohérente que Fantasio est capable de formuler. Pour la petite histoire, j'ai appris grâce aux intégrales qu'à l'époque le journal de Spirou avait été renommé « Spirou Magaziiine », ce qui expliquait le slogan de Fantasio. Néanmoins, même pour le lecteur qui n'aurait pas connu la période « Spirou Magaziiine » (pour moi, le journal de Spirou s'est toujours appelé le Journal de Spirou), le slogan entonné par Fantasio correspond juste parfaitement bien à sa folie.
Du côté de Spirou, si celui-ci garde une certaine contenance, c'est quand même le grand désarroi. Mais c'est un héros, donc il ne craque pas, notamment car il se doit de sauver son meilleur ami. Car cet album, c'est surtout une magnifique ode à l'amité. Une amitié indéfectible, symbolisée par une poignée de main en début et fin d'album (ces deux scènes font très « filmique » je trouve). Pour l'émotion, la planche 40 est sans conteste la plus belle de tout l'album
Ainsi, la Vallée des Bannis est un album passionnant pour son ambiance, pour son univers incroyable, pour ses thématiques riches. Un incontournable sans aucune hésitation. Il faut vraiment que je vous dise quelle note j'ai mis ?