Re: Analyse de la famille Spirou
Posté : lun. 3 sept. 2018 22:52
Prof Pigling, il faut que je réponde à ton commentaire, mais déjà comme promis je poste la suite du dossier:
(La suite de la partie 3)
Astérix ou l’(homo)sexualité honteuse
Contrairement à Tintin, le débat sur la sexualité d’Astérix et Spirou se situe moins sur les intentions des auteurs (Goscinny et Uderzo d’un côté, Rob-Vel, Dupuis, Jijé et Franquin de l’autre étant clairement identifiés comme hétérosexuels, il n’y a pas vraiment de question sur des codes cachés volontairement par les auteurs) que la perception des personnages par le public au fil du temps. Il va y avoir en effet une prise de conscience d’une forme de tabou sur la sexualité des personnages, et les auteurs vont s’interroger sur cette sexualité.
Ainsi, pour Astérix, Goscinny et Uderzo ont tout d’abord écrits nos deux héros comme des inséparables, tous les deux célibataires, et dans un premier temps beaucoup plus intéressés par la bagarre et la bonne bouffe que par les charmes féminins. Surtout car comme Tintin avant lui, ils ne sont pas confrontés aux femmes tout court ! On a tendance à l’oublier parfois, mais dans le premier album Astérix le Gaulois (1956), le village est exclusivement masculin ! Et dans les quatre albums suivants, on ne verra au maximum qu’une ou deux femmes dans le village, en fond et pour une ou deux cases à peine dans tout l’album. Bien entendu, ce postulat va évoluer. Pour des raisons de crédibilité notamment, nos héros défendant un village gaulois, il aurait été absurde sur le long terme qu’aucune femme ne soit présente. Il faudra tout de même dix ans pour voir Bonemine apparaître dans le Combat des Chefs (1966), et deux ans de plus pour qu’elle ait droit à un nom (le Bouclier Arverne). Elle sera rejointe par d’autres femmes, mais toutes mariées pour évacuer toute ambiguïté (sauf une !) et à part Bonemine, seule Iélosubmarine, la femme d’Ordralfabétix (Astérix en Hispanie en 1969) aura les honneurs d’un prénom (merci les Beatles !).
En fait, le premier vrai personnage féminin à apparaître dans la série arrive plus tôt en 1963 dans Astérix et Cléopâtre (devinez de qui il s’agit !). Pour la première (et unique ?) fois, on voit : une femme dans une position de pouvoir (le statut de Bonemine ne vient que de son mariage et est contesté), et une femme désirable (un nez mon cher, un nez !). Mais le charme semble plus jouer pour Panoramix que pour nos deux héros. En 1966, c’est Falbala qui entre en scène et là, on tient la première sexualisation officielle des personnages, en tout cas d’Obélix.
[thumbnail]https://4.bp.blogspot.com/-cPByEGzcUKc/ ... la_oro.jpg[/thumbnail]
Obélix tombe ainsi amoureux de Falbala. Mais comme pour Fantasio et Seccotine plus tôt (dans un registre assez différent), c’est un amour présenté comme très enfantin. Obélix représente l’enfant (un peu enveloppé l’enfant, je l’avoue !) qui tombe amoureux d’une adulte. Il réagit comme un enfant (confit son secret à Astérix, rougit et n’est pas capable de parler, boude) et Falbala le traite comme tel (c’est pour qui le bisou sur le nez ?). On reste encore quelque part dans une forme d’autocensure, car tout ceci n’est pas très sérieux, est bon esprit et surtout ne porte pas à conséquence (Falbala se marie au bellâtre Tragicomix, sans même savoir qu’Obélix est amoureux d’elle). C’est peut-être encore plus enfantin que pour Fantasio-Seccotine chez Franquin : Obélix est amoureux de Falbala juste parce qu’elle est belle, Falbala n’a du reste pas de personnalité à proprement parler, tandis que chez Fantasio il faut un regard plutôt adulte pour interpréter leurs chamailleries comme une forme d’attirance non-avouée (du reste, ce n’est que mon humble interprétation). Pour les deux séries (et dans une moindre mesure dans Tintin, avec la relation Haddock-Castafiore), le ou les auteurs préfèrent sexualiser d’abord le compagnon car d’une c’est moins casse-gueule que le héros, et de deux le but avoué (ne pas avoir deux hommes vivant ensemble dont aucun ne peut être identifié comme hétérosexuel) est semble-t-il atteint, sans réellement casser la mécanique de la série. Encore une fois, on retrouve la similitude avec Sherlock Holmes, avec le mariage de Watson.
Car du côté d’Astérix, il faut quand-même reconnaître que c’est le calme plat. On ne lui prête sur toute l’ère Goscinny-Uderzo aucune relation, aucune attirance pour personne, et fondamentalement aucun intérêt pour la chose.
Le schéma de base est donc un héros totalement asexuel et un comparse à l’hétérosexualité affichée mais totalement immature. On aurait pu rester là-dessus et tout irait très bien.
Néanmoins, une spécificité du duo Astérix-Obélix, couplée à une autre spécificité de l’œuvre Astérix, et associé à la longévité de la série et aux changements de mentalité de la société va au fur et à mesure du temps avoir une influence sur la perception du duo, et « forcer » Uderzo, qui depuis fait cavalier seul, à reparler de plus en plus de la sexualité des personnages (et ça ne sera pas très heureux !).
En effet, on l’a vu dans la partie précédente, la mécanique du duo Astérix-Obélix repose sur les engueulades-réconciliations. C’est tout à fait voyant dans la Zizanie par exemple, et ça, ça impose une relation très expansive, avec des mots forts, des câlins, des « môôôôsieur Astérix », des Obélix qui pleure dans sa carrière de menhirs car il s’est engueulé avec Astérix, des fois où Idéfix va préférer un de ses deux papas à l’autre. Une relation de vraies « drama queens ». Or comme Astérix est une œuvre qui utilise massivement la caricature pour établir son propos, cela fait – qu’on le veuille ou non – que la relation Astérix et Obélix peut se lire comme une caricature d’une relation d’un couple homosexuel.
Cette idée, si elle n’a pas été planifiée par ses auteurs, trouve son point d’orgue dans l’album le fils d’Astérix par Uderzo, qui adjoint un véritable enfant au couple (et où malgré le titre, Obélix se charge tout autant de l’éducation du bambin). Un album qui parle à son corps défendant d’homoparentalité donc, en présentant un modèle de famille homoparentale viable (Panoramix s’écriera du reste dans cet album : « Il vous a choisis pour ses pères d’adoption »). Mais comme pour contrebalancer cette imagerie presque progressiste et je pense non volontaire, Uderzo insiste assez lourdement sur une sexualité cachée du personnage, au travers des remarques de Bonemine.
[thumbnail]https://www.clg-fontreyne.ac-aix-marsei ... 8&doctype=[/thumbnail]
On tient ainsi également quelque chose d’assez intéressant et propre à Astérix. La sexualité n’est pas – pour la série – quelque chose de privé et de personnel ; mais quelque chose qui est discuté par la société, commenté, et surtout jugé. Dans Astérix et les Zizanie, les femmes du village font des remarques sur le célibat d’Astérix, « anormal » (selon elles) pour quelqu’un de son âge, et le mettent en relation avec son amitié pour Obélix. Bonemine insinue dans le fils d’Astérix que l’enfant est effectivement celui d’Astérix. Obélix répandra la rumeur d’une mise en couple avec Maestria dans la Rose et le Glaive, reprise par tous les hommes du village. Et enfin, les mères d’Astérix et Obélix essayent de jouer les entremetteuses pour marier des héros qui n’en ont manifestement pas envie (Astérix et Latraviata). Par petites touches, le célibat d’Astérix et son absence de penchant pour la sexualité deviennent « suspect ». Alors, du point de vue caricature c’est très juste, pas de problème. Dans la vraie vie, les gens se permettent constamment des commentaires sur ce qui ne les regarde en rien. Mais ça va amener à quelque chose d’assez dérangeant à présenter dans une littérature jeunesse, ça va amener Astérix à être gêné, même à avoir honte d’une certaine façon de sa (non-)sexualité.
Ainsi, Astérix n’est pas juste une figure asexuelle comme Tintin pour qui le concept de sexualité n’existe pas ; mais une figure consciente de la sexualité, mais qui ne veut pas qu’on s’occupe de la sienne. Ce qui m’embête, c’est qu’associé au sous-texte involontaire sur le duo comme un couple (inhérent à la structure même du couple Astérix-Obélix comme on a pu le voir en partie 2), ça instille l’idée d’une homosexualité un peu honteuse.
Une autre critique récurrente faite à la BD Astérix, c’est sa misogynie. Les femmes y sont présentées soit comme des commères (les femmes du village), soit comme des objets de désirs sans personnalité marquée (Falbala). Il n’y a à la rigueur que Cléopâtre pour avoir une réelle ampleur, mais on est quand-même sur un personnage historique, et qui n’a été présent que dans deux albums. Bon, je pense qu’on peut se l’avouer à présent, Astérix n’est certainement pas la série la plus féministe du monde, et même si on peut toujours utiliser l’argument de la caricature, la série ne présente tout simplement pas assez d’images positives de femmes, les laisse au second plan et au foyer trop souvent, et utilise la caricature pour véhiculer des images conservatrices de la société. Alors quand en plus Uderzo croît très malin de donner son point de vue sur les mouvements féministes, ça donne le sidérant, l’hallucinant et l’effroyable La Rose et le Glaive ; qui malgré un début pas si inintéressant se vautre dans un machisme sans nom dans son final. La Rose et le Glaive aura permis à ceux qui en doutaient que la BD, comme n’importe quelle forme d’art, et même d’expression, est politique, et que tout ce qui est politique est orienté.
Sans rentrer trop dans les détails du rapport aux femmes dans Astérix parce qu’on en aurait pour des heures, ça reste néanmoins important car l’image des femmes dans l’univers traduit souvent le rapport du héros aux femmes également. Donc vouloir présenter les femmes soit comme des belles plantes inoffensives (Falbala), soit comme des chiennes de garde malaisantes et agressives (Maestria) ou encore des femmes-fatales à l’agenda caché (Latraviata), ça n’aide pas le héros à se sentir à l’aise avec les femmes, et couplé avec le besoin d’Astérix de laisser sa sexualité privée, ça donne des situations moralement très problématiques, et qui une fois encore trouveront des échos dans Spirou.
Ainsi, vue l’immaturité affective d’Astérix associée à sa méfiance, lorsque Maestria lui fait du rentre-dedans, Astérix réagit de la pire des façons, en lui balançant à coup de poing. Chez Spirou, c’est miss Flanner qui se prendra une gifle du héros après qu’il croira celle-ci responsable de la mort de Spip. Les enjeux de ces deux évènements ne sont pas similaires, et le plus problématique chez Spirou reste la « réécriture » de cet évènement dans Aux Sources du Z, beaucoup trop survolé pour être clairement compris. Chez Astérix, ce coup de poing se mâtine en outre de considérations de galanterie un peu hors-contexte ; et même s’il aura une vraie incidence sur le scénario, la remise en question d’Astérix est très légère et le pardon de Maestria bien prompt à venir.
[thumbnail]https://static.comicvine.com/uploads/or ... stria4.jpg[/thumbnail]
Mais là où le bât blesse vraiment, c’est quand l’auteur, pour affirmer le caractère hétérosexuel de son personnage, va vouloir faire s’embrasser le héros avec l’héroïne du jour. De peur des cris d’orfraies des gardiens du temple, pour gérer ce qui s’apparente de plus en plus comme un passage obligé, Uderzo chez Astérix et Yann et Morvan chez Spirou vont utiliser une « situation exceptionnelle » pour créer un baiser qu’ils ne sont pas capables d’amener sainement et naturellement. Ainsi, dans Astérix et Latraviata, Astérix sous l’effet de la potion magique va forcer un palot à Falbala/Latraviata Vu qu’Astérix n’est pas dans son état normal (Youpiiiiiii !!!!!), c’est censé être très drôle et tout à fait pardonnable, ce que Latraviata fait du reste très bien. Et ça fait bien sûr écho au (tristement) célèbre baiser de Spirou à Seccotine dans Aux Sources du Z, qui ne prête d’autant moins à conséquences qu’il est réécrit par la nouvelle temporalité qui émerge en fin d’album. J’ai déjà dit tout le « bien » que je pensais de cette heure sombre dans l’histoire du groom, ce n’est guère mieux chez Astérix.
[thumbnail]https://78.media.tumblr.com/f0dd434339f ... qz4rgp.jpg[/thumbnail] (ce deuxième baiser entre Latraviata et Astérix est quand-même plus mignon)
La BD présente une image où la violence faite aux femmes est tout à fait acceptable, surtout qu’elle est faite par le héros, malgré la galanterie dont ledit héros se prévaut. Comme quoi, grattez la surface de la galanterie, et vous retrouvez la bonne vieille misogynie des familles.
Surtout que fondamentalement ça ne répond même pas à l’enjeu que ces deux albums (La Rose et le Glaive et Astérix et Latraviata) étaient censés soulever, à savoir confronter Astérix à la sexualité. Le baiser d’Astérix à Latraviata était censé hétérosexualiser le personnage, mais vu qu’il fait ça dans un état plus que second, et que le seul indice autres d’intérêt d’Astérix pour Falbala vient de ces petits cœurs qu’il « émet » à ce moment (en contradiction totale du reste avec ce que l’on sait du personnage et de ses liens avec Falbala) et bien on revient peu ou prou à la case départ. Donc Astérix reste une figure à l’immaturité sexuelle qui confine à la gêne, confronté à des attentes auxquelles il ne veut pas ou ne peut pas répondre (le mariage dans Astérix et Latraviata, la sollicitation de Maestria dans la Rose et le Glaive), et au jugement de son environnement sur son mode de vie (son célibat, et le fait qu’il soit très proche d’un homme).
Du coup, pour certains tout ceci dresse le portrait « d’un gay dans le placard » (dans son non-intérêt pour les femmes, et son refus de se conformer à certaines normes) ; mais je dirai surtout encore une fois d’un rapport de gêne par rapport à la sexualité (Astérix passe dans les albums cités son temps à réfuter les rumeurs et se justifier). Mon impression est qu’Uderzo n’a jamais eu vraiment envie de sexualiser son héros, et du coup n’a jamais trop su comment s’y prendre ni où aller. Mais je pense qu’il est conscient de ce deuxième niveau de lecture possible de ses personnages, et qu’il a cherché par tous les moyens à l’atténuer. C’est par exemple à mon avis la raison pour laquelle il est dit dans Astérix et Latraviata qu’Obélix et Astérix sont nés le même jour ; alors que seul l’anniversaire d’Obélix est fêté dans Obélix et compagnie ; tout ceci dans le but d’atténuer l’image de couple pour renforcer celle de frères. De même pour le soudain intérêt d'Astérix pour Falbala (Latraviata) alors qu'il n'en est jamais question dans Astérix Légionnaire. ça m'apparait quand-même très forcé.
(bon, c'est encore une fois long comme un jour sans pain, je m'arrête là pour ce soir. Promis, demain, on parle de Spirou et on conclue cette trop longue Partie 3. N'hésitez pas à commenter, même (et surtout) si vous avez des désaccords, ou pensez que je suis parti très loin)
(La suite de la partie 3)
Astérix ou l’(homo)sexualité honteuse
Contrairement à Tintin, le débat sur la sexualité d’Astérix et Spirou se situe moins sur les intentions des auteurs (Goscinny et Uderzo d’un côté, Rob-Vel, Dupuis, Jijé et Franquin de l’autre étant clairement identifiés comme hétérosexuels, il n’y a pas vraiment de question sur des codes cachés volontairement par les auteurs) que la perception des personnages par le public au fil du temps. Il va y avoir en effet une prise de conscience d’une forme de tabou sur la sexualité des personnages, et les auteurs vont s’interroger sur cette sexualité.
Ainsi, pour Astérix, Goscinny et Uderzo ont tout d’abord écrits nos deux héros comme des inséparables, tous les deux célibataires, et dans un premier temps beaucoup plus intéressés par la bagarre et la bonne bouffe que par les charmes féminins. Surtout car comme Tintin avant lui, ils ne sont pas confrontés aux femmes tout court ! On a tendance à l’oublier parfois, mais dans le premier album Astérix le Gaulois (1956), le village est exclusivement masculin ! Et dans les quatre albums suivants, on ne verra au maximum qu’une ou deux femmes dans le village, en fond et pour une ou deux cases à peine dans tout l’album. Bien entendu, ce postulat va évoluer. Pour des raisons de crédibilité notamment, nos héros défendant un village gaulois, il aurait été absurde sur le long terme qu’aucune femme ne soit présente. Il faudra tout de même dix ans pour voir Bonemine apparaître dans le Combat des Chefs (1966), et deux ans de plus pour qu’elle ait droit à un nom (le Bouclier Arverne). Elle sera rejointe par d’autres femmes, mais toutes mariées pour évacuer toute ambiguïté (sauf une !) et à part Bonemine, seule Iélosubmarine, la femme d’Ordralfabétix (Astérix en Hispanie en 1969) aura les honneurs d’un prénom (merci les Beatles !).
En fait, le premier vrai personnage féminin à apparaître dans la série arrive plus tôt en 1963 dans Astérix et Cléopâtre (devinez de qui il s’agit !). Pour la première (et unique ?) fois, on voit : une femme dans une position de pouvoir (le statut de Bonemine ne vient que de son mariage et est contesté), et une femme désirable (un nez mon cher, un nez !). Mais le charme semble plus jouer pour Panoramix que pour nos deux héros. En 1966, c’est Falbala qui entre en scène et là, on tient la première sexualisation officielle des personnages, en tout cas d’Obélix.
[thumbnail]https://4.bp.blogspot.com/-cPByEGzcUKc/ ... la_oro.jpg[/thumbnail]
Obélix tombe ainsi amoureux de Falbala. Mais comme pour Fantasio et Seccotine plus tôt (dans un registre assez différent), c’est un amour présenté comme très enfantin. Obélix représente l’enfant (un peu enveloppé l’enfant, je l’avoue !) qui tombe amoureux d’une adulte. Il réagit comme un enfant (confit son secret à Astérix, rougit et n’est pas capable de parler, boude) et Falbala le traite comme tel (c’est pour qui le bisou sur le nez ?). On reste encore quelque part dans une forme d’autocensure, car tout ceci n’est pas très sérieux, est bon esprit et surtout ne porte pas à conséquence (Falbala se marie au bellâtre Tragicomix, sans même savoir qu’Obélix est amoureux d’elle). C’est peut-être encore plus enfantin que pour Fantasio-Seccotine chez Franquin : Obélix est amoureux de Falbala juste parce qu’elle est belle, Falbala n’a du reste pas de personnalité à proprement parler, tandis que chez Fantasio il faut un regard plutôt adulte pour interpréter leurs chamailleries comme une forme d’attirance non-avouée (du reste, ce n’est que mon humble interprétation). Pour les deux séries (et dans une moindre mesure dans Tintin, avec la relation Haddock-Castafiore), le ou les auteurs préfèrent sexualiser d’abord le compagnon car d’une c’est moins casse-gueule que le héros, et de deux le but avoué (ne pas avoir deux hommes vivant ensemble dont aucun ne peut être identifié comme hétérosexuel) est semble-t-il atteint, sans réellement casser la mécanique de la série. Encore une fois, on retrouve la similitude avec Sherlock Holmes, avec le mariage de Watson.
Car du côté d’Astérix, il faut quand-même reconnaître que c’est le calme plat. On ne lui prête sur toute l’ère Goscinny-Uderzo aucune relation, aucune attirance pour personne, et fondamentalement aucun intérêt pour la chose.
Le schéma de base est donc un héros totalement asexuel et un comparse à l’hétérosexualité affichée mais totalement immature. On aurait pu rester là-dessus et tout irait très bien.
Néanmoins, une spécificité du duo Astérix-Obélix, couplée à une autre spécificité de l’œuvre Astérix, et associé à la longévité de la série et aux changements de mentalité de la société va au fur et à mesure du temps avoir une influence sur la perception du duo, et « forcer » Uderzo, qui depuis fait cavalier seul, à reparler de plus en plus de la sexualité des personnages (et ça ne sera pas très heureux !).
En effet, on l’a vu dans la partie précédente, la mécanique du duo Astérix-Obélix repose sur les engueulades-réconciliations. C’est tout à fait voyant dans la Zizanie par exemple, et ça, ça impose une relation très expansive, avec des mots forts, des câlins, des « môôôôsieur Astérix », des Obélix qui pleure dans sa carrière de menhirs car il s’est engueulé avec Astérix, des fois où Idéfix va préférer un de ses deux papas à l’autre. Une relation de vraies « drama queens ». Or comme Astérix est une œuvre qui utilise massivement la caricature pour établir son propos, cela fait – qu’on le veuille ou non – que la relation Astérix et Obélix peut se lire comme une caricature d’une relation d’un couple homosexuel.
Cette idée, si elle n’a pas été planifiée par ses auteurs, trouve son point d’orgue dans l’album le fils d’Astérix par Uderzo, qui adjoint un véritable enfant au couple (et où malgré le titre, Obélix se charge tout autant de l’éducation du bambin). Un album qui parle à son corps défendant d’homoparentalité donc, en présentant un modèle de famille homoparentale viable (Panoramix s’écriera du reste dans cet album : « Il vous a choisis pour ses pères d’adoption »). Mais comme pour contrebalancer cette imagerie presque progressiste et je pense non volontaire, Uderzo insiste assez lourdement sur une sexualité cachée du personnage, au travers des remarques de Bonemine.
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On tient ainsi également quelque chose d’assez intéressant et propre à Astérix. La sexualité n’est pas – pour la série – quelque chose de privé et de personnel ; mais quelque chose qui est discuté par la société, commenté, et surtout jugé. Dans Astérix et les Zizanie, les femmes du village font des remarques sur le célibat d’Astérix, « anormal » (selon elles) pour quelqu’un de son âge, et le mettent en relation avec son amitié pour Obélix. Bonemine insinue dans le fils d’Astérix que l’enfant est effectivement celui d’Astérix. Obélix répandra la rumeur d’une mise en couple avec Maestria dans la Rose et le Glaive, reprise par tous les hommes du village. Et enfin, les mères d’Astérix et Obélix essayent de jouer les entremetteuses pour marier des héros qui n’en ont manifestement pas envie (Astérix et Latraviata). Par petites touches, le célibat d’Astérix et son absence de penchant pour la sexualité deviennent « suspect ». Alors, du point de vue caricature c’est très juste, pas de problème. Dans la vraie vie, les gens se permettent constamment des commentaires sur ce qui ne les regarde en rien. Mais ça va amener à quelque chose d’assez dérangeant à présenter dans une littérature jeunesse, ça va amener Astérix à être gêné, même à avoir honte d’une certaine façon de sa (non-)sexualité.
Ainsi, Astérix n’est pas juste une figure asexuelle comme Tintin pour qui le concept de sexualité n’existe pas ; mais une figure consciente de la sexualité, mais qui ne veut pas qu’on s’occupe de la sienne. Ce qui m’embête, c’est qu’associé au sous-texte involontaire sur le duo comme un couple (inhérent à la structure même du couple Astérix-Obélix comme on a pu le voir en partie 2), ça instille l’idée d’une homosexualité un peu honteuse.
Une autre critique récurrente faite à la BD Astérix, c’est sa misogynie. Les femmes y sont présentées soit comme des commères (les femmes du village), soit comme des objets de désirs sans personnalité marquée (Falbala). Il n’y a à la rigueur que Cléopâtre pour avoir une réelle ampleur, mais on est quand-même sur un personnage historique, et qui n’a été présent que dans deux albums. Bon, je pense qu’on peut se l’avouer à présent, Astérix n’est certainement pas la série la plus féministe du monde, et même si on peut toujours utiliser l’argument de la caricature, la série ne présente tout simplement pas assez d’images positives de femmes, les laisse au second plan et au foyer trop souvent, et utilise la caricature pour véhiculer des images conservatrices de la société. Alors quand en plus Uderzo croît très malin de donner son point de vue sur les mouvements féministes, ça donne le sidérant, l’hallucinant et l’effroyable La Rose et le Glaive ; qui malgré un début pas si inintéressant se vautre dans un machisme sans nom dans son final. La Rose et le Glaive aura permis à ceux qui en doutaient que la BD, comme n’importe quelle forme d’art, et même d’expression, est politique, et que tout ce qui est politique est orienté.
Sans rentrer trop dans les détails du rapport aux femmes dans Astérix parce qu’on en aurait pour des heures, ça reste néanmoins important car l’image des femmes dans l’univers traduit souvent le rapport du héros aux femmes également. Donc vouloir présenter les femmes soit comme des belles plantes inoffensives (Falbala), soit comme des chiennes de garde malaisantes et agressives (Maestria) ou encore des femmes-fatales à l’agenda caché (Latraviata), ça n’aide pas le héros à se sentir à l’aise avec les femmes, et couplé avec le besoin d’Astérix de laisser sa sexualité privée, ça donne des situations moralement très problématiques, et qui une fois encore trouveront des échos dans Spirou.
Ainsi, vue l’immaturité affective d’Astérix associée à sa méfiance, lorsque Maestria lui fait du rentre-dedans, Astérix réagit de la pire des façons, en lui balançant à coup de poing. Chez Spirou, c’est miss Flanner qui se prendra une gifle du héros après qu’il croira celle-ci responsable de la mort de Spip. Les enjeux de ces deux évènements ne sont pas similaires, et le plus problématique chez Spirou reste la « réécriture » de cet évènement dans Aux Sources du Z, beaucoup trop survolé pour être clairement compris. Chez Astérix, ce coup de poing se mâtine en outre de considérations de galanterie un peu hors-contexte ; et même s’il aura une vraie incidence sur le scénario, la remise en question d’Astérix est très légère et le pardon de Maestria bien prompt à venir.
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Mais là où le bât blesse vraiment, c’est quand l’auteur, pour affirmer le caractère hétérosexuel de son personnage, va vouloir faire s’embrasser le héros avec l’héroïne du jour. De peur des cris d’orfraies des gardiens du temple, pour gérer ce qui s’apparente de plus en plus comme un passage obligé, Uderzo chez Astérix et Yann et Morvan chez Spirou vont utiliser une « situation exceptionnelle » pour créer un baiser qu’ils ne sont pas capables d’amener sainement et naturellement. Ainsi, dans Astérix et Latraviata, Astérix sous l’effet de la potion magique va forcer un palot à Falbala/Latraviata Vu qu’Astérix n’est pas dans son état normal (Youpiiiiiii !!!!!), c’est censé être très drôle et tout à fait pardonnable, ce que Latraviata fait du reste très bien. Et ça fait bien sûr écho au (tristement) célèbre baiser de Spirou à Seccotine dans Aux Sources du Z, qui ne prête d’autant moins à conséquences qu’il est réécrit par la nouvelle temporalité qui émerge en fin d’album. J’ai déjà dit tout le « bien » que je pensais de cette heure sombre dans l’histoire du groom, ce n’est guère mieux chez Astérix.
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La BD présente une image où la violence faite aux femmes est tout à fait acceptable, surtout qu’elle est faite par le héros, malgré la galanterie dont ledit héros se prévaut. Comme quoi, grattez la surface de la galanterie, et vous retrouvez la bonne vieille misogynie des familles.
Surtout que fondamentalement ça ne répond même pas à l’enjeu que ces deux albums (La Rose et le Glaive et Astérix et Latraviata) étaient censés soulever, à savoir confronter Astérix à la sexualité. Le baiser d’Astérix à Latraviata était censé hétérosexualiser le personnage, mais vu qu’il fait ça dans un état plus que second, et que le seul indice autres d’intérêt d’Astérix pour Falbala vient de ces petits cœurs qu’il « émet » à ce moment (en contradiction totale du reste avec ce que l’on sait du personnage et de ses liens avec Falbala) et bien on revient peu ou prou à la case départ. Donc Astérix reste une figure à l’immaturité sexuelle qui confine à la gêne, confronté à des attentes auxquelles il ne veut pas ou ne peut pas répondre (le mariage dans Astérix et Latraviata, la sollicitation de Maestria dans la Rose et le Glaive), et au jugement de son environnement sur son mode de vie (son célibat, et le fait qu’il soit très proche d’un homme).
Du coup, pour certains tout ceci dresse le portrait « d’un gay dans le placard » (dans son non-intérêt pour les femmes, et son refus de se conformer à certaines normes) ; mais je dirai surtout encore une fois d’un rapport de gêne par rapport à la sexualité (Astérix passe dans les albums cités son temps à réfuter les rumeurs et se justifier). Mon impression est qu’Uderzo n’a jamais eu vraiment envie de sexualiser son héros, et du coup n’a jamais trop su comment s’y prendre ni où aller. Mais je pense qu’il est conscient de ce deuxième niveau de lecture possible de ses personnages, et qu’il a cherché par tous les moyens à l’atténuer. C’est par exemple à mon avis la raison pour laquelle il est dit dans Astérix et Latraviata qu’Obélix et Astérix sont nés le même jour ; alors que seul l’anniversaire d’Obélix est fêté dans Obélix et compagnie ; tout ceci dans le but d’atténuer l’image de couple pour renforcer celle de frères. De même pour le soudain intérêt d'Astérix pour Falbala (Latraviata) alors qu'il n'en est jamais question dans Astérix Légionnaire. ça m'apparait quand-même très forcé.
(bon, c'est encore une fois long comme un jour sans pain, je m'arrête là pour ce soir. Promis, demain, on parle de Spirou et on conclue cette trop longue Partie 3. N'hésitez pas à commenter, même (et surtout) si vous avez des désaccords, ou pensez que je suis parti très loin)