Manifestement, ce Paris Sous Seine n'est pas un album des plus appréciés par ici, et j'avoue que j'ai un peu du mal à comprendre pourquoi. Même s'il n'est pas le meilleur album de la série (loin de là), celui-ci m'a tout de même bien séduit par son imagerie particulière (Paris noyée est superbe) et son action trépidante.
Après un Machine qui Rêve très particulier et une période de vaches maigres très longue, quand est arrivé Paris Sous Seine dans les pages de Spirou, j'ai tout d'abord été un peu déçu de retrouver de nouveaux auteurs aux commandes. Sans compter que le dessin, beaucoup plus stylisé (et pas tout à fait encore maîtrisé) de Munuera jure face au semi-réalisme proposé par Janry plus tôt. Néanmoins, j'ai vite apprécié les atouts de ce nouveau design, qui s'adapte bien aux scènes d'action de l'épisode. Qui plus est, la colorisation est dans l'ensemble de très bon goût (un hola sur la perruque bleue de Miss Flanner qui jure à mort dans son cockpit rouge ; ainsi que sur la chambre rose bonbon dans le poulpe, qui est elle le comble du mauvais goût). Pour un album qui parle de déluge, l'élément aqueux est très bien rendu, et les cases de mise en marche de l'expanseur d'eau sont excellentes. Certains effets (le vent sur le toit de l'opéra, l'eau qui s'engouffre avec cette impression de vitesse) sont je trouve très bien rendus. Reste que Munuera ne semble pas encore très à l'aise sur les personnages, les trognes de Spirou et Fantasio ne sont pas toujours réussies (rien de dramatique non plus).
A part T&J et leur album « Virus », j'ai toujours trouvé que les premiers albums des auteurs de Spirou n'étaient pas marquants : les histoires courtes de Franquin, le Faiseur d'or de Fournier ou la Ceinture du Grand Froid de Nic et Cauvin manquent d'ambition. De l'ambition, Paris Sous Seine en a lui, et c'est pour moi ce qui fait le charme de l'épisode. Contrairement aux épisodes précités, qui parfois essayaient de faire profil bas pour ne pas trop appuyer la transition, PSS tente de se poser en épisode important, en introduisant un nouveau vilain récurrent qui restera pour moi LA grande réussite de M&M : Miss Flanner. Dans cette intrigue où il n'y a finalement que peu de personnages (Spirou, Fantasio, Spip, Champignac, Flanner), la miss tire très agréablement son épingle du jeu. Certes, elle a un petit côté vilain d'opérette ou méchant de James Bond (sa première apparition en contre-jour d'une fenêtre est typique des entrées de ce style de méchants) ; mais j'apprécie beaucoup son ambivalence, méchante pas vraiment méchante mais certainement pas gentille non plus. Je trouve les thèmes que son personnage soulève plus qu'intéressants (la peur d'une mort prochaine, le besoin de marquer son temps, de vivre sans contraintes aucunes), et surtout bien plus pertinentes qu'un n-ième tyran ou scientifique fou en quête de pouvoir. J'ai lu que certains trouvaient que ses motivations pour noyer Paris étaient inexistantes, je ne suis pas d'accord, je pense que celle-ci se comprennent sans être dites : parce qu'elle en a le pouvoir (alors qu'elle n'a pas celui de se soigner), pour Champignac qui deviendrait le héros qui a asséché Paris (sinon, pourquoi attendre qu'il ait mis au point le Nebulozitor?), pour faire reculer la mort en se prenant pour Dieu... Bref, l'impression qu'on aura de cette BD est très liée à celle qu'on aura eu de Miss Flanner je pense. Pour moi, le personnage a marché, j'imagine que beaucoup sont restés très hermétiques à son attitude hautaine et ses réponses cyniques.
Malheureusement, si Flanner est très réussie, on ne pas dire que ce soit le cas des autres personnages. Spirou est relativement transparent pendant une bonne partie de l'album, et il faut attendre la « mort » de Spip et « la claque » pour croire voir un vrai perso avec des émotions, des motivations. Champignac est mi-figue mi-raisin : si ses interactions avec Flanner sont très bonnes, le début du tome lui donne des images de vieil ahuri complètement à côté de la plaque. Sans compter que Chamignac est mycologue à tendance chimiste à la base : un mycologue de génie certes, mais pas un ingénieur en robotique. Quant à Fantasio, ça a toujours été le plus grand ratage de M&M, qui sont complètement passés à côté du personnage. Leur Fantasio devient un roi de la gaffe, éternel adolescent « tel que vu par les parents », fan de jeux vidéos forcément « infantilisants », à l'humour pas toujours réussi. Si le personnage n'est pas insupportable, il est bien affadi. C'est aussi vrai dans une moindre mesure pour Spip, qui perd chez M&M tout son humour, même si les petits intermèdes « de son point de vue », sont des jolies trouvailles.
C'est d'ailleurs le plus gros problème de l'album (et de M&M en général) : ce n'est pas le plus drôle. On sent que le duo n'est pas à l'aise avec l'humour, alors il tente des choses, certains gags ou situations feront sourire (Fantasio qui bouche le trou par mégarde, ou le comportement des parisiens évacués), d'autres non (les gesticulations de Fantasio à Montmartre, dispensable). Heureusement, l'album compense son manque d'humour par de l'action bien dosée, qui rend la lecture très plaisante (je trouve). Si sur la longueur, le manque d'humour deviendra un problème, ça n'est pas encore le cas ici.
Bref, je vois Paris Sous Seine et son « Fin ? » comme une promesse : la promesse d'un nouvel antagoniste qui va donner du fil à retordre aux héros, d'une vision qui concilie aspect léger (les décors lumineux et colorés, certaines situations incroyables) et d'autres plus sombres (l'histoire de Flanner, sa mort prochaine...), bref une nouvelle version de Spirou. Bien entendu, la promesse ne sera pas bien respectée, mais donc pour moi Paris Sous Seine est une ouverture solide. Puisque j'oscille entre le 3 et le 4, que le 3.5 n'est pas possible dans les votes, et que je le relis malgré tout avec beaucoup de plaisir, c'est donc un petit 4.