Il y a quelque chose qu'on rappelle trop peu sur Franquin, c'est que c'était, en dehors du dessinateur de génie que l'on connait, un extraordinaire créateur d'univers, à peu près unique en cela dans la bande dessinée franco-belge. Et cela grâce à deux caractéristiques.
D'une part, une imagination graphique délirante: on le voit dans son goût pour le design, ses voitures, et autres véhicules, des Turbotractions à celle de Gaston ou la Zurglomobile, ont une touche immédiatement reconnaissable; ses machines, de l'Elaoin Sdretu aux inventions de Gaston ou aux créations démesurées de Zorglub, sont dignes des plus grandes œuvres de science-fiction; son architecture, goût qu'il partageait avec Will, dans les méandres du château de Champignac ou les aménagements et destructions des bureaux de la rédaction Spirou par Gaston; et quelle est sa part dans la ville sous-marine des hommes-bulles ?
D'autre part, un dessin qui rend vivant tout ce qu'il touche, qu'on pourrait qualifier d'animiste. Les machines, je viens d'en parler, mais aussi et surtout, Franquin était un fabuleux dessinateur animalier. On connait tous sa galerie de personnages secondaires qui sous son traitement deviennent inoubliables, Dupilon, le maire de Champignac, Seccotine, John Héléna. Je vous en remets d'autres en mémoire: nul n'a pu oublier les tronches et attitudes hilarantes et si justes du jaguar, de l'ara, des pirañas du Nid des marsupilami (et tiens, oui, dans ses architectures incroyables, n'oublions pas ce fameux nid repliable). Réussir à faire de petits pirañas de vrais personnages secondaires en quelques cases, sans les anthropomorphiser, simplement en exacerbant leurs caractéristiques animales, est aussi une marque de génie.
Du choc de ces deux caractéristiques naissent les univers fantastiques de Franquin. Et, à sa suite, les meilleurs repreneurs de Spirou sont ceux qui creuseront encore ces deux mêmes sillons. Fournier comme Tome et Janry crééront eux aussi de forts sympathiques animaux, et d'extraordinaires machines (si on aime Cyanure, comment ne pas apprécier Les petits formats, auxquels il est un hommage et un décalque évident)
Bref, Le nid des marsupilamis n'est pas la seule histoire de Spirou à n'être pas vraiment une histoire de Spirou canonique (Panade à Champignac, Bravo les Brothers, Vacances sans histoires), elle est néanmoins, comme les meilleures, la quintessence des mondes de Franquin, un docu-fiction unique dans l'histoire de la B.D.
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