Alors comment dire… Ce fut une autre de ces couvertures  qui m'avaient fait entrer dans la librairie,  et feuilleter le bouquin, puis  ne rien y comprendre. 

  A raison cette fois (même si  j'avais lu trop vite).  Déjà, devant la couverture,  je me suis dit: on est sûrs que c'est un
 Spirou et Fantasio?  Parce que c'est une couverture assez terrifiante.  Déjà oui, niveau graphisme, ça surprend. Un aspect positif que je ne peux pas nier, c'est le dessin, justement. Il est beau de façon renversante, alors que déjà le graphisme des opus précédents de ces  auteurs avait  de quoi me faire baver. 
 C’est  juste que cet aspect beaucoup plus réaliste renforce encore le sérieux de l'intrigue,  et en  avait on besoin?  Non seulement il fait toujours nuit, et  il pleut souvent dans cette histoire,  mais en plus les pages sur lesquelles elle est  imprimée sont noires,  sauf la dernière qui partait sur une note plus optimiste ( la seule de jour). Sérieusement?  

 J’ai appris longtemps après que le scénariste était le même que pour la série 
Soda.  Seulement là, désolée,  ça n'est pas 
Soda,  il s'agirait pas de tout confondre.  Ni de casser les codes et de se réattribuer un héros qu'on a pas inventé jusqu'à ce point-là.   

 J’ignorais totalement que le duo d’auteurs était censé avoir pris  la grosse tête et s’être imposé après avoir fait de bons chiffres en librairie, si j'ai bien suivi.  Mais ce revirement cent pour cent sérieux était encore plus surprenant venant de leur part (et il l’aurait été venant de n’importe quel auteur de la série, de base),  sachant qu'on avait quand même affaire à un duo dont  l'humour était tout de même assez délirant jusqu'ici, pour ne pas dire potache, entre les créatures qui pètent des bulles et les mafiosos qui reviennent par paquets de douze et ébouillantés dans l’huile de chien.  C’étaient vraiment les derniers que  j’aurais imaginé faire ça,  parmi tous les auteurs.  
  
Ça explique les réactions un peu tièdes, pour ne dire que ça.  Il n’y avait pas que le dessin de réaliste, d’ailleurs, mais aussi le gimmick de donner soudain son vrai prénom, ou se demander ce qu’il est. Allons : la création de la série remontait à cette fameuse époque où le médium BD était uniquement perçu pour les enfants, et les personnages, qui vivaient de courts gags, n’avaient qu’un surnom. Les grandes aventures sont arrivées après, mais la mutation devenait cette fois trop grande. Réalisme toujours, c’est la première fois qu’on voit Spirou sans le moindre élément d’uniforme depuis 
 L’Ankou, et cette fois curieusement, ça va rester (enfin jusqu’à Yoann et Vehlmann  

 ).
  Si le graphisme passe néanmoins,   autant scénaristiquement, c'est là qu’est le problème.  Ca n'a absolument rien à voir avec un 
Spirou et Fantasio classique,  on a plutôt l'impression de regarder 
Le fugitif,  mâtiné avec
 A l'aube du 6e jour. Sachant que si à l'époque, le film 
Le fugitif (1993) était déjà sorti, 
A l'aube du 6e jour (2000) non. Alors qui de l’œuf ou  de la poule?  
 
 Pour renforcer cette impression de fugitif, on isole totalement le protagoniste, qui passe son temps aussi solitaire qu’effrayé ( je reviendrai sur ce qu'on peut appeler le protagoniste). Avec pour commencer, Fantasio qui part en vacances tout seul. Est-ce que ça lui était déjà arrivé ne serait-ce qu'une seule fois? Exactement, il n'y va jamais tout seul, ni avant ni après. C’est  là que ça ne colle pas pour commencer. L’histoire tourne bel et bien autour d'un duo d’habitude, mais pour obtenir l'effet terrifiant prévu de techno thriller,  il fallait  un héros qui soit solitaire. Pour la même raison,  mais je crois que de toute façon les auteurs ne l’aimaient déjà pas beaucoup puisqu'ils l’avaient rendu muet juste avant,  on ne verra pas Spip, qui passe son temps à dormir à la maison. D’ailleurs on nous dit ici que notre duo n'habite pas ensemble. Depuis quand?  

 On les voit clairement être colocataires, notamment dans 
Spirou et Fantasio à New York (et ils le seront à nouveau après). Je passerai rapidement sur l'effet anxiogène que fait le film que regarde le duo au début (et un effet d’anticipation assez peu subtil. 

 ) Le moment qui suit est l’un des seuls instants un peu légers ( avec le flashback, et le jet, de nain de jardin). Pour ça aussi il y a de quoi être choquée: pas d'humour du tout. Là aussi,  je trouve qu'il manque quelque chose au cahier des charges.   
 
N’oublions pas une des obsessions du duo  d’auteurs, la sexualité. Ça  nous donne, d’une part, Seccotine qui n’a jamais été si belle (sauf dessinée par Dany), mais  hyper sexualisée puisqu'elle apparaît en mini-jupe.  Je dois reconnaître cependant que ça fait tenue d’hiver aujourd'hui, comparé avec ce qu'elle porte dans
 La gorgone bleue.  
 D’autre part, elle présente en plus de  l'attirance pour l’un de nos héros, et non, je ne trouve pas qu'elle aie choisi le bon (je ne fais pas référence au clone en disant ça  

 ). Je suis d'accord avec 
Les chroniqueurs de ces dessin animés là qui méritent qu'on s'en souvienne quand ils notaient le peu de flair de T&J  sur ce point,  et que si Seccotine devait sortir avec l’un des deux, c’était plus intéressant avec Fantasio.  Ils se retrouveraient dans une relation tendue, et donc amusante. En  tout cas plus amusante à suivre qu’ avec Spirou,  avec tout le respect que je lui porte.  Il  a des tas de qualités,  mais être romançable avec la seule femme qu'il connaisse bien n'en fait pas partie. Encore une fois, curieusement, et bien que 
Machine qui rêve soit considéré à part, "Seccotine en tant que love interest possible" va rester, pour Spirou (
Aux sources du Z, La gorgone bleue, Le tombeau des Champignac),  mais aussi pour Fantasio (deuxième série télé, le film, 
Fondation Z, Le triomphe de Zorglub, et 
Le tombeau des Champignac aussi, tiens).
 J'ai trouvé aussi le rythme assez lent. On ne fait que suivre Spirou,  ou plutôt  Spirouïde ( appelons le comme ça),  dans sa fuite et le rythme en est assez ralenti.  Pour que ce soit l'unique sujet,  il y avait un découpage parfois très lent sur certains gestes,  dans quelques cases.  Malgré le sérieux voulu de ces changements tellement brusques de code, certains moments m'ont plutôt donné envie de rire.  

  A commencer par la fonte des  plombs du Spirouïde quand il hurle:  « Je ne joue plus! ».  Je conçois qu’être soudain traqué comme un criminel pousse vers la folie n’importe qui. 

  Mais ça  a un côté excessivement théâtral, qui m’a sortie de la solennité du moment.  
 
Autre  « sortie de route », le cadre. Tout se déroule dans la même cité où nous tournons en rond. Donc, pas d’aventures, d’exotisme et de grands espaces- seul, 
Pacific Palace fera pire sur ce point. J’avais déjà dit que 
Vito la déveine faisait huis clos, mais le cadre paradisiaque faisait que le sentiment de claustrophobie était absent. Je sais que parfois on ne bouge pas beaucoup, et l’intrigue tourne autour de la science devenue folle (
Le voyageur du Mésozoïque , 
Le rayon noir et 
Alerte aux Zorkons). Ca pourrait être le cas ici aussi, théoriquement, mais c’est une science terrifiante à laquelle on a affaire ici, 

  loin des errements comiques de Zorglub. 
  Et puis il y a la chute!  Je suppose que depuis un quart de siècle  vous la connaissez,  je peux en parler sans divulgâcher. 

   Le fait que tout du long, et même  jusque sur la couverture, on a quasiment eu affaire qu’à Spirouïde, autrement dit au clone de Spirou.  Ce qui veut dire que non seulement cette histoire est quasiment sans Fantasio ni Spip, mais elle est même aussi sans Spirou,  donc ça renforce son aspect d’inutilité. 

  La première fois je ne dis pas,  la révélation finale est effectivement renversante.  

  Personne, en tout cas pas moi,  ne l'avait vu venir,  mais le problème c'est que cette qualité ne résiste pas à une seconde lecture. On sait déjà qu'on ne fait que suivre les aventures d'un clone qu'on avait jamais vu avant,  et qu'on ne reverra jamais après.   Ca aussi, c'est encore un autre problème , en ce que nous ne sommes pas attachés à ce personnage,  comme on le croyait. Finalement,  les relectures suivantes en deviennent ennuyeuses. 

   J'aimerais par contre savoir deux- trois bricoles,  du style où était retenu Spirou (l’original)?  Comment s’est il enfui (et son clone aussi, soit dit en passant)? Comment a-t-il su qu’on l’avait cloné, quand a-t-il mis ses amis au courant?  

 J’ai parlé aussi de l'aspect anxiogène,  en cela qu'on a l'impression que Spirou se fait trahir par une amie.  Je  sais gré aux auteurs que par ailleurs, la personne qui lui fait cela ne soit pas Fantasio,  car ça aurait été vraiment beaucoup trop dur à surmonter.  Cette fin “twist”  à la 
Quatrième dimension, et la couverture minimaliste qui ne rigole pas, voilà qui n’était pas dans les habitudes non plus…Et qui n’est pas passé. 
 La nature du clone ne me laisse perplexe, puisque on nous donne à entendre que c'est une espèce d’androïde, qui n'est pas fait de chair, et pourtant il saigne, c'est bizarre.  

 Son sort me laisse encore plus perplexe, quand on  voit Seccotine partir avec lui,  une manière détournée de Tome et Janry  de la mettre en couple avec Spirou, sans que ce soit Spirou pour autant ;  parce qu'ils savaient que ce n'était pas possible, au vu de sa longue histoire, de le caser. Là-dessus dans les runs suivants,  voilà t-il pas que Seccotine réapparaît sans lui, et qu'elle ne dit pas ce qui lui est arrivé. Je crois que tout le monde s'en fiche à commencer par tous les auteurs suivants. 
Mon 
headcanon,  c'est que le clone  était peut-être fait d'une matière qui devait  se dissoudre après un temps plus ou moins long,  peut-être quelques jours ou quelques semaines.  Un peu comme les clones que créera Zorglub dans sa propre série ( j'y reviendrai),  qui eux peuvent ne durer que 10 minutes.  Ca  voudrait juste dire que Spirouïde est mort,  mais dans le fond que qu’en savons-nous? 
  J’ai toujours cru qu'à l'époque les réactions mitigées,  à l'album qui restera un épisode bizarre sans lien avec ce qui s'est arrivé avant ou après,  avaient valu à  T&J de se faire renvoyer sur le champ.  En fait,  ce serait eux qui auraient arrêté pour pouvoir migrer définitivement sur 
Le petit Spirou.  Je ne le savais pas non plus, qu'ils avaient 
 Zorglub à Cuba dans les tuyaux. 
J'ai lu les 8 premières pages depuis. Ça semblait légèrement plus drôle et tous les personnages du casting allaient être utilisés cette fois apparemment. Et toujours, ce dessin magnifique.  

  Néanmoins, le rythme paraissait toujours un peu lent,  et l’atmosphère anxiogène. Donc ils comptaient sérieusement transformer la série de cette manière?  Sur ce point,  encore une fois,  je me répète,  mais ce n'est pas 
 Soda. 

   Si c'est ça qu'on veut lire, et bien on va lire 
Soda directement. J’ai parfois eu la sensation, devant ce thriller, de me trouver devant un épisode d’ 
X files ou des 
Envahisseurs : sombre, sérieux, SF, personnage traqué, fin ambiguë…Changer totalement les codes de la série, non seulement personne ne l’avait demandé, mais ce n’est pas passé (alors que les auteurs voulaient inscrire ça dans le temps). Donc est-ce vraiment une surprise quand finalement,  ils ont compris qu’ils ne pourraient pas continuer comme ça? C'est presque un équivalent au 
Dark age  des comics américains (même époque). Ca donne pour résultat, dans 
Across the Spider-verse, le personnage de Ben Reilly (et qui est un clone, pas de hasard 

 ) qui se lamente sur la difficulté de la vie, sous le regard stupéfait puis consterné de ses collègues.  
 
Enfin c'est un épisode très ancré dans son époque. Et je dis pas seulement ça pour l'usage des portables auquel les personnages ne sont pas encore habitués. Plutôt quant au sujet du clonage humain.  A l'époque de la sortie de l'album, nous étions exactement deux ans après le tout premier clonage réussi d'un mammifère,  la brebis Dolly.  Dans les médias,  tout le monde en était à dire: « À quand le clonage de l'être humain? ». Surtout, tout le monde était absolument persuadé que c'était très proche dans le temps, et que ça serait permis aussi.  

  Accessoirement, on s'affolait en imaginant des clones créés dans l'unique but de fournir éventuellement leurs organes à leur original,  si il ou elle tombait malade et devait être greffé(e). Ces clones auraient été alors comme du bétail. Ou alors qu’on allait cloner les personnes mortes pour les remplacer, et qu'en cas d'erreur ça nous donnerait un imposteur dont on ne pourrait pas se débarrasser ( c'est d'ailleurs exactement le scénario d' 
 A L’aube du 6e jour). 
La saga des clones de Spider-man, mal reçue des fans, est de la même période. Il est question du fait que Peter Parker aie pu être remplacé par un clone.  

  Et puis,  il y avait la secte des raëliens, qui affirmaient non seulement qu’ils allaient cloner un être humain,  mais qu'ils y  étaient  arrivés. Spoiler:  ça fait vingt ans qu'ils racontent ces  salades, et  plus personne ne les croit. 

  Finalement, non seulement le  clonage humain n'a pas été autorisé,  mais à quoi servirait il? Pas à créer des banques d’organes, ramener à la vie des célébrités ou des chers disparus, ou, pour les animaux, créer de la viande artificielle -les seuls usages un tant soit peu divertissants du clonage.  

 Les seules personnes qu'on a clonées depuis pour les remplacer après leur mort,  c'étaient  des animaux de compagnie.  Outre  que le procédé est très cher, et par conséquent pas très répandu,  les propriétaires sont souvent déçus parce que l'animal n'a  rien à voir au physique comme au comportement avec l'original. Vous vous attendiez à quoi?  C’est  juste un frère jumeau ou une sœur jumelle à retardement du précédent,  ce n'est pas une photocopie ( d’autant que donner aux clones exactement l’âge et la mémoire de l’original comme dans 
Machine qui rêve, ça reste de la science-fiction). 
Du coup, le clonage est devenu depuis un sujet de comédie,  et plus du tout de thriller,  il n’ inquiète plus personne. Déjà, le film 
Mes doubles, ma femme et moi (1996) était précurseur. Ou  l'album de la BD  
Jules « La réplique inattendue » (2001), par l’auteur de 
L’espoir malgré tout. Ce sont  des comédies.  Mais surtout, depuis,  rien que dans cet univers, il y a eu la série 
Zorglub.  Et  le fait que dans l'album
 Lady Z,  ce dernier crée un processus instantané pour obtenir des clones,  puisqu’ils  sont faits d'une matière plastique.  On peut les apparenter à des sortes de robots eux aussi,  exactement comme Spirouïde, mais la ressemblance s'arrête là.  Outre le fait qu' une fois la formule stabilisée,  eux peuvent vivre semble-t-il indéfiniment,  le résultat est franchement comique.  Déjà, il y a la vingtaine de Zorglubs qui ont chacun un trait de personnalité différent et seront comparés,  à juste titre,  « aux Schtroumpfs avec la tête de Gargamel ».  Mais en plus, il y a  le fait que Zorglub accepte un rendez-vous avec son double de sexe opposé. L’usage des clones dans cet album est de manière générale  plutôt ludique,  puisqu'il s'agit avant tout de ressusciter des célébrités décédées.  C’est sûr qu'avec un thème qui tourne à la farce aujourd'hui, ça donne encore moins de crédibilité au titre 
Machine qui rêve maintenant. 
Je lui  donne 2 pour le graphisme, mais pas plus à cause des ambitions à côté de la plaque qu'il avait et le fait qu'en plus d’être anxiogène,  il n'est pas si intéressant que cela une fois que la chute est connue. 
La beauté du graphisme et le scénario mature peuvent être appréciés. En fait (même si serait resté le manque d’intérêt à la relecture), c’eut été une très bonne histoire, s’il s’était agi d’autre chose qu’un album de 
Spirou et Fantasio. Ca aurait limite pu faire un bon one-shot, si ça avait existé à l’époque. Mais en tant qu’épisode classique, non seulement  il restera un mouton noir, mais il ne me semble plausible qu’en tant que cauchemar de Spirou, en effet… 
