Je reviens sur cette histoire, parce qu’elle a beau avoir été faite il y a plus de 70 ans, elle se lit encore aujourd’hui, et parce qu’il s’agit de Franquin, un auteur important, donc c’est une question dont il faut discuter, ce n’est pas du tout anodin. Et j’y reviens factuellement, pour essayer de comprendre comment Franquin a pu faire cela, accuser “les travers de l’époque” est trop simple et si imprécis qu’il empêche de comprendre en partie ce que Franquin avait en tête.
Gaston Lagaffe a écrit :La quatrième m'a toujours un peu dérangé avec ses noirs qui en fait sont des bruns qui ne se sont jamais lavés. Comment c'est censé faire du sens ? Lorsque leurs bébés naissaient bruns, les noirs ne se sont pas posés de question ?
Jalias a écrit :Déjà comme l’a suggéré « Gaston Lagaffe » dans son post : c’est complètement con. Et je dis bien con, pas « naïf », « mignonnet » ou tout adjectif aseptisant pour faire passer la pilule. C’est absolument crétin. Du genre de bêtise qui insulte l’intelligence du lecteur.
Pourquoi se poseraient-ils la question? Il y a plusieurs exemple de gens qui naissent avec des particularités physiques qui disparaissent à l'âge adulte, ou le contraire, le plus connu étant la tache mongoloïde
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tache_mongolo%C3%AFde . Et pour citer des expériences personnelles, en Chine ou en Thaïlande, nombre de locaux ã la peau claire méprisent les locaux à peau foncée. Car oui, il y a des Chinois et des Thaïs à la peau très claire, et d’autres à la peau très foncée. Donc, non, ce n’est pas “complètement con, absolument crétin”, c’est triste à dire mais cela est un reflet de la réalité. Par contre, je ne sais pas si Franquin était conscient de cette réalité, il a très bien pu croire inventer cela de toute pièce, et alors oui, ce n’est pas la meilleure idée qu’il ait jamais eue (pour le dire gentiment).
Trichoco a écrit :Le dénouement de cette histoire est assez célèbre par son côté raciste et peu vraisemblable, qui est que les deux tribus qui peuplent l’île sont la même, et que ceux qui ont la peau plus foncée sont sales.
On reste encore dans un esprit complètement colonialiste, mais les noirs sont présentés sous plusieurs côtés qui ne se ressemblent pas forcément. : soumis, sales, mais aussi pas si bêtes que ça. Chose intéressante, la source de leur problème vient des blancs et pas forcément d’eux-mêmes.
Là encore, c’est non seulement vraisemblable, mais historiquement vrai, et à plusieurs reprises. On connait le fameux “diviser pour régner” qu’ont appliqué les Anglais dans leurs colonies (Inde ou Birmanie pour citer des cas dont les séquelles se voient encore aujourd’hui), ou la manipulation des Hutus et Tutsis au Rwanda par les colons belges, et qui a fini par la tragédie que l’on sait.
Jalias a écrit :Dire « les noirs, c’est noir car c’est sale », c’est peut-être le truc le plus raciste qu’on peut dire au monde. Malheureusement c’est le genre de « blague » qu’un gamin entend dans une cour de récré, ou qu’un adulte se prend au bar PMU du coin. Je suis presque certain que – et c’est affreux – toute personne noire vivant en France a dû se bouffer au moins une fois un commentaire un peu similaire. C’est quand-même super triste qu’un gosse qui peut déjà subir le racisme dans la vraie vie s’en bouffe en plus tranquille pépouze chez lui en lisant une BD.
D’accord avec toi, toutefois, j’ai lu récemment dans le recueil African stories,
http://www.dorislessing.org/africanby.html de Doris Lessing (autrice irréprochable sur le plan du racisme, et dont on ne peut dire qu’elle ignorait la réalité de la vie dans les colonies africaines, contrairement à Franquin), un passage où elle dit directement que les Africains du sud n’utilisaient pas de savon. Cela ne veut évidement pas dire qu’ils ne se lavaient pas, par exemple, les anciens Grecs et Romains, pourtant très portés sur l’hygiène, n’en utilisaient pas non plus, mais ils avaient d’autres techniques et produits, mais Franquin, qui a pu lire cette information au détour d’un article tel Bichon chez les nègres
https://www.dubrevetaubac.fr/page/conte ... rthes.html , a pu bêtement extrapoler, mais ce n’est pas un délire raciste gratuit tel que dans les cas cités par Jalias.
Jalias a écrit : Cette BD est raciste. Tout y est raciste. Que ça soit ses points-clef d’intrigue, sa narration, son imagerie, ses gags (la race fantasienne… pfff), sa galerie de personnages (les gentils comme les méchants)… tout y pue le racisme. Cette BD est juste le produit sans nuances de son époque. C’est assez surprenant (et triste) de la part de Franquin, qui l’a montré dans l’Héritage et le montrera dans la Corne du Rhinocéros, est capable de tordre les clichés et d’avoir du recul sur cette pensée de l’époque.
Là, par contre, pas d’accord. “Les noirs sont noirs parce qu’ils sont sales”, oui, c’est raciste, et ce en dépit de ce qui a pu pousser Franquin à introduire cela (que je viens de préciser). Le reste, non. Aussi bien le fait que Spirou et Fantasio trouvent excellente la cuisine locale ( alors qu’on ne compte plus les œuvres, films, romans, articles, BD, où les personnages occidentaux sont rebutés par les aspects exotiques de la cuisine de “ces gens qui décidément ne sont pas comme nous”), que Fantasio découvre, à sa grande surprise (donc, contrairement aux clichés courants), que la musique jouée par les Pygmées soit de l’excellent be-bop (et ce n’est pas un mince compliment de la part Franquin, grand amateur de jazz), que les Pygmées s’expriment dans un excellent français, et pas en petit nègre, tout cela montre au contraire que Franquin, ici aussi, sortait des clichés de l’époque. Quant à la race fantasienne, ces variations sur la peau humaine est un topique de Franquin, qui le reprend sur Fantasio lui-même dans Les voleurs du marsupilami, ou encore dans Le repaire de la murène. Enfin, sur le cadre insulaire de l’histoire, il n’est pas non plus un reflet d’une utopie coloniale, du moins pas directement, mais des goûts personnels de Franquin, qui dans Et Franquin créa Lagaffe p 8, parlant de Pim, Pam, Poum parmi les BD qui l’ont marqué et dont il est admiratif, dit “Tout cela se passe dans une ile tropicale, avec un roi nègre qui se laisse vivre nonchalament”. Et “se laisser vivre nonchalamment”, de la part du créateur de Gaston Lagaffe, cela est très loin du cliché raciste des “noirs paresseux”, mais au contraire un compliment.